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Libération
Le temps d'un Grand Bivouac : critique

«Une yourte sinon rien», la Mongolie steppe by steppe

Le Grand Bivouac, festival du film-documentaire et du livre d'Albertvilledossier
Avec son recueil de nouvelles, Marc Alaux nous fait partager le quotidien des nomades, moines, soldats, voleurs, artistes ou voyageurs qui hantent le désert de Gobi, les pics de l’Altaï ou Oulan-Bator.
Au cœur des steppes mongoles, il y a beaucoup d’esprits, de légendes et de règles qu’il ne faut pas enfreindre. (Johannes Eisele/AFP)
publié le 20 septembre 2023 à 14h30

C’est un pays lointain. Où l’on ne se trouve bien que dans la chaleur de la yourte. Marc Alaux paraît bien connaître le confort de ces lieux perdus au fond des steppes glacées. Avec ce recueil de nouvelles, l’auteur nous fait partager le quotidien de ces nomades, moines, soldats, voleurs, artistes ou voyageurs qui hantent le désert de Gobi, les pics de l’Altaï ou Oulan-Bator. «Pour l’amateur de sensations fortes, une échappée dans la steppe manque de grandeur : au mieux, il se met en selle, et tout se réduit à de la patience ; au pire, il porte son havresac, et tout est affaire d’effort et d’incertitude.» Vaste programme.

Pluie de poissons

Il y a beaucoup d’esprits et de légendes, de règles qu’il ne faut pas enfreindre, de dictons immémoriaux comme : «En rencontrant un riche, regarde dans ses poches. En rencontrant un pauvre, regarde dans son cœur.» Il y a des histoires de couples qui s’embrouillent pour un fromage qui n’a pas le même goût. Des fantômes également, et un brin de surréalisme, comme dans «Capsule», «buveur à plein temps ainsi appelé par ses amis». «Il buvait comme il faut, c’est-à-dire en quantité, mais dignement, avec méthode. L’été pour se détendre, l’hiver pour se réchauffer, aux autres saisons sans alibi. Sa première lampée, au soleil levant, se substituait à l’offrande rituelle de thé aux esprits. La dernière faisait de la nuit un songe ébloui.» Et un jour de boisson, Capsule se trouve pris sous une pluie de poissons. Delirium tremens ? Il consulte tout le monde, et tout le monde lui conseille de ralentir sa consommation, et, pourtant, la radio lui donne raison. «A la faveur d’un orage, une trombe d’eau s’est formée sur le lac Khövsgöl, projetant les plus petits poissons dans les airs. Les vents dominants les ont portés vers le sud, si bien que des éleveurs du Gobi ont vu les poissons tomber du ciel.»

Il y a de la sagesse entre ces lignes, de la philosophie, de belles choses à apprendre, une certaine vision du monde. Une vieille femme attend la mort, un berger se transforme en chauffeur de taxi et sa famille n’a plus rien à manger, un orgueilleux commandant reçoit la tête d’une statue plantée dans son cœur : «la vengeance de Bouddha»…

Rivières de gemmes

Et puis, quelques rappels utiles. «Années 30 : les éleveurs réticents à la collectivisation imposée par les nouveaux dirigeants communistes cachent ou déciment leurs troupeaux. Menacés, ils fuient par milliers vers la Mongolie intérieure.» 2020 : «La corruption sévit à tous les étages, le fossé se creuse entre l’élite et le peuple, qui a perdu confiance dans ses institutions et ses gouvernants. La rancœur monte chez les pauvres.»

Une dernière nouvelle pour finir, celle de Jakobus, émissaire sorti des geôles pour partir en mission pour le roi, en 1250, en Cilicie (dans l’actuelle Turquie). Arrivé à Karakorum, capitale de l’Empire mongol, il se présente devant la yourte du khan, qui recèle de multiples richesses, de la porcelaine de Chine, des coffres d’or et d’argent, des rivières de gemmes… «Jakobus était au carrefour des mondes connus, devant ce que la Terre portait de plus raffiné. Mais lui, tout chargé de poussière et de boue, eut honte de son apparence. Alors, pour ne rien souiller […] afin de décrotter ses bottes, il tapa longuement ses pieds sur le seuil de la yourte. Outrage suprême pour les Mongols du Moyen Age ! C’était la pire insulte qu’on puisse faire à son occupant. Au point, l’apprit Jacobus l’instant d’après, qu’elle était punie de mort.» Cette nouvelle-là s’appelle «Dommage !»

Une yourte sinon rien. Nouvelles de Mongolie de Marc Alaux, Transboréal, 11,90€. L’auteur sera présent au Grand Bivouac en octobre.