Ce 31 mai, Libération et Paris-I-Panthéon-Sorbonne lancent «l’Université Libé». Une journée pour faire débattre les différents courants progressistes sur des sujets politiques structurants. Ce débat sur l’engagement et la gauche réunissait Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre, directrice de l’ONG ONE, présidente de France Terre d’Asile, Aurélie Trouvé, députée LFI-Nupes, Camille Etienne, militante, Fatima Ouassak, politologue, cofondatrice du collectif Front de mères et Eric Chenut, président de la Mutualité française.
Faut-il être en colère contre la gauche ? «Il faut passer à autre chose», a répondu Najat Vallaud-Belkacem, qui a plaidé pour que «l’on sorte des récits négatifs, que l’on retrouve du positif» pour reconstruire une alternative sociale et écologique face à la menace croissante de l’extrême droite. L’ancienne ministre socialiste venait d’être interpellée sur le bilan passé de la gauche de gouvernement par Aurélie Trouvé : «La gauche qui est dans l’accompagnement du capitalisme financier a déçu, il faut reconstruire la gauche dans la bifurcation, il faut une rupture systémique car il y a un seul système qui exploite le travail et le vivant», a assené la députée insoumise de la Seine Saint-Denis et ancienne porte-parole d’Attac. L’échange résume bien le débat sur la manière de régénérer l’engagement à gauche qui traversait l’auditoire de l’Université Libé ce mercredi matin.
Derrière cette passe d’armes, tous les orateurs s’inquiétaient de la capacité de la gauche à mobiliser la population, à retrouver de l’engagement politique et citoyen, face à une extrême droite «qui a un discours politique très élaboré et très sophistiqué» sur le prétendu «grand remplacement», comme l’a relevé Fatima Ouassak, politologue et cofondatrice de l’association Front de mères. La militante antiraciste implantée à Bagnolet (93) note que «les populations des quartiers savent très bien ce qu’est l’extrême droite. Ce qui manque c’est le projet de la gauche à lui opposer». Et de pointer frontalement une gauche qui ne remet pas en question «le système capitaliste» qui perpétue les inégalités sociales et la destruction de l’environnement. Pour Fatima Ouassak, «on ne parle pas assez de transition antiraciste, de transition anticoloniale».
«Sortir de l’apathie»
Car pour tous les participants, l’urgence climatique et les questions sociales sont intrinsèquement liées. Pour la militante écologiste Camille Etienne, dont Libé a récemment tiré le portrait, «il faut arrêter de dire qu’on ne peut plus rien faire. C’est plus qu’un constat c’est une posture politique». L’ancienne étudiante à Sciences-Po et figure de la jeunesse mobilisée face à l’urgence climatique déroule : «Le futur n’existe pas dans le présent, on a la capacité d’action pour construire l’avenir», «il faut sortir de l’emprise de l’apathie qui arrange l’ordre établi», «il faut déconstruire notre impuissance en étant guidés par l’action juste». Mais la jeune femme rappelle «qu’il faut beaucoup de courage pour rester digne et construire des contre-pouvoirs quand on nous traite d’écoterroristes».
Une radicalité dans laquelle les partis politiques doivent puiser en allant à la rencontre des associations sur le terrain, selon Aurélie Trouvé pour qui la gauche, nécessairement «radicale» si elle veut changer les choses, «a une hégémonie culturelle à retrouver, à conquérir, au sens de Gramsci, face aux deux blocs, le bloc libéral autoritaire et l’extrême droite». «La gauche radicale aura besoin des mouvements associatifs pour être rappelée à sa radicalité dans notre projet d’égalité, antiraciste et écologique», a rappelé la députée LFI-Nupes. Pour elle, qui assume «un discours radical de confrontation», il faut «sortir de la logique humanitaire, remettre la question de la justice sociale au centre et celle de l’immigration comme une chance pour la France». Un discours qui n’a pas tout à fait convaincu la militante de quartier Fatima Ouassak, pour qui la gauche dans son ensemble «ne parle pas assez de transition antiraciste, de transition anticoloniale».
«Sortir de l’illusion du consensus»
Mais «la bifurcation» qu’appelle de ses vœux Aurélie Trouvé est-elle compatible avec le fait de «construire du consensus pour apporter des solutions», une démarche jugée indispensable par Eric Chenut, le président de la Mutualité française ? C’est bien le PS «point de tension du débat», a relevé Camille Etienne, pour qui «permettre le dissensus plutôt que l’empêcher, c’est précisément le régime de la démocratie, celui où on peut ne pas être d’accord, sortir de l’illusion du consensus».
Même radicalité assumée par Fatima Ouassak, qui sans être «en colère contre la gauche», veut «un projet politique à la hauteur de la confrontation avec l’extrême droite». Pour elle, «il faut interpeller la gauche, il faut un projet antiraciste quitte à casser la bonne ambiance car la gauche ne nous représente pas, la gauche n’est pas là dans les quartiers populaires». Et de prôner «la convergence des luttes antiracistes, écologiques» sans «mettre tous ses espoirs dans la gauche».
Pour réconcilier les citoyens avec l’engagement, à défaut de réconcilier toutes les gauches, Najat Vallaud-Belkacem a pointé de son côté l’urgence politique du moment : «L’heure est grave, qu’il s’agisse du changement climatique ou des menaces de l’extrême droite. On n’est plus au moment de la transition et du changement, on est au moment du péril imminent», a lancé l’actuelle directrice de l’ONG ONE. Pour le coup tout le monde partage le même constat.