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Gratuité des transports : initiative

Voiture : sur les autoroutes de Lille, un péage à l’envers

La métropole lilloise expérimente un système visant à récompenser les conducteurs qui n’utilisent pas leur voiture aux heures de pointe sur l’A1 et l’A23 en leur versant 2 euros par trajet évité. Et espère réduire le nombre de pics de pollution de l’air aux particules fines.
Sur l'autoroute A2. (ChiccoDodiFC/Getty Images)
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
publié le 16 décembre 2023 à 13h10
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C’est le péage à l’envers : la métropole de Lille compte sur un effet carotte, plutôt que bâton, pour limiter les embouteillages sur deux de ses autoroutes, l’A1 et l’A23. Elle verse 2 euros aux automobilistes par trajet évité aux heures de pointe, pour une récompense maximum de 80 euros par mois. Télétravail, transports en commun, vélo, trottinette, covoiturage, ou décalage des horaires, l’éventail des alternatives est ouvert. Toute initiative est bonne à prendre : les épisodes de pollution de l’air par les particules fines y sont réguliers. Une récente étude d’Atmo Hauts-de-France pointe le trafic routier, responsable sur la métropole de 34 % des émissions de PM10, des particules au diamètre inférieur à 10 µm, dangereuses pour les voies aériennes supérieures. La Métropole européenne de Lille (MEL) veut donc réduire ces pollutions et favoriser des «moyens de transport plus vertueux».

Ces deux autoroutes, l’une filant vers Paris, l’autre vers Valenciennes, desservent le sud de la métropole et comptent un trafic cumulé de 12 000 véhicules par heure, aux pires moments de la journée, de 7 à 9 heures et de 16h30 à 18h30. «Une baisse de 6 % du trafic suffit pour le fluidifier de façon importante», note Damien Castelain, le président sans étiquette de la MEL. On y est presque. Les services métropolitains estiment qu’entre 93 et 95 % de l’objectif est rempli, selon l’axe concerné. Soit 1 821 déplacements effacés par jour, en moyenne, la semaine du 27 novembre. Ce n’est qu’à la fin de l’expérimentation, en juin, qu’on connaîtra le réel l’impact sur les embouteillages.

L’exemple de Rotterdam

Le président de la MEL a découvert l’initiative à Rotterdam et a voulu l’initier dès 2017. «Il nous a fallu du temps pour avoir l’ensemble des autorisations», a-t-il noté. Car la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a fait les gros yeux. Le dispositif, aux Pays-Bas, s’appuyait sur l’utilisation de lecteurs automatiques de plaques d’immatriculation (Lapi). Mais en France, ce système de surveillance n’est autorisé que pour les infractions : un rapport de 2017 du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) sur l’écobonus lillois remarquait que cela «ne s’appliqu [ait] pas à la situation d’un véhicule dans un embouteillage». Impossible donc de répliquer la solution néerlandaise, malgré son efficacité. A Rotterdam, le trafic général a baissé de 8 % pendant l’expérimentation, en 2014 et 2015, et surtout, cette «réduction du niveau de congestion s’est prolongée en 2016 et 2017», note le rapport du CGEDD.

A Lille, les Lapi ont donc été cantonnés à la première phase du dispositif : du 3 avril au 12 mai, les automobilistes pendulaires volontaires se sont inscrits sur le site changerçarapporte.fr, avec indication de leur immatriculation. Jusqu’en juin, les caméras ont vérifié qu’ils étaient bien des utilisateurs réguliers, en heures de pointe, de l’A1 et de l’A23 : le matin vers la métropole, le soir vers chez eux. Données immédiatement détruites ; cela a été la condition de la Cnil. La MEL espérait pouvoir sélectionner 5 000 participants pendant l’été, ils n’ont été que 3 500 à remplir les conditions requises sur les 4 000 postulants.

Le télétravail préféré en majorité

Depuis septembre, ces conducteurs ont dû accepter d’être tracés, via le GPS de leur téléphone portable, après téléchargement d’une appli dédiée. A chaque fois qu’ils n’utilisent pas leur voiture à l’heure des bouchons, ils le signalent dans l’appli, en indiquant l’alternative utilisée. Il y a des contrôles, prévient tout de suite la Métropole européenne de Lille. Car l’angoisse, c’est la fraude, par exemple le téléphone portable qui reste à la maison quand le conducteur prend tout de même son autoroute embouteillée. A 42,8 %, ils optent pour le télétravail et à 33 % pour le décalage de leur départ à un autre horaire. Seuls 10,9 % des automobilistes lâchent leur volant pour les transports en commun.

Ce que regrette le groupe écologiste d’opposition à la MEL : il signale que décaler les départs n’empêche pas les voitures de circuler, et voudrait bien savoir s’il y a un impact réel sur la qualité de l’air. Surtout, il crie à «l’usine à gaz inopportune». Les Verts préféreraient voir les 11,3 millions d’euros du projet, dont 550 000 euros venant de l’Etat, investis ailleurs, et s’inquiètent des retards pris dans l’établissement de la ZFE (zone à faibles émissions), qui devrait concerner les 95 communes de la métropole à partir de début 2025. Damien Castelain, lui, rêve tout haut : «Si vous enlevez 5 000 déplacements sur les 12 000 comptés aux heures de pointe, ce sera Noël.»