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Ascension

Première mondiale : vol en parapente au-dessus du K2

Une saison à la montagnedossier
Les alpinistes Liv Sansoz et Bertrand Roche ont gravi le deuxième plus haut sommet du monde avant de le descendre en parapente biplace. Un exploit qu’ils détaillent pour «Libération».
Les alpinistes Liv Sansoz et Bertrand Roche ont grimpé le K2 le 28 juillet dernier, puis se sont envolé en parapente biplace. (Collection Liv & Zeb)
publié le 25 septembre 2024 à 0h02
(mis à jour le 25 septembre 2024 à 16h18)

Ils ont réalisé une première. Grimper le K2 le 28 juillet dernier, puis s’envoler en parapente biplace. Les alpinistes Liv Sansoz (47 ans) et Bertrand Roche, guide de haute montagne (alias Zeb, 51 ans), spécialiste de parapente, étaient invités d’honneur de la Coupe Icare (1). Ils racontent cette première sans oxygène. En couple, ce qui n’est pas anodin.

Bertrand Roche explique : «On adore être ensemble, et je n’ai pas un mauvais caractère, plutôt un tempérament calme. Nous avons dirigé notre énergie vers la réussite du projet. Tranquilles sous la tente, concentrés sur l’effort. Au retour, les amis se sont inquiétés de notre entente. Mais non, il n’y avait pas de quoi.»

Liv Sansoz est spécialiste d’escalade pure, plutôt rocher. «On ne va pas être bons dans les mêmes domaines, poursuit Bertrand Roche. On marche au feeling. On sait lire le ciel. Cela fait quarante ans que je pratique le parapente. Je regarde la neige qui vole, la forme de certains nuages… On a bien sûr une info météo mais qu’on va confirmer sur le terrain. Y aller reste notre choix.»

Le guide poursuit : «une fois qu’on est lancé, il ne faut pas rester trop longtemps en haute altitude. Deux jours là-haut, c’est compliqué… 8 611 mètres au sommet ! Il faut savoir prendre les bonnes décisions, car on n’a pas toute sa tête (avec le manque d’oxygène, ndlr). En grimpant, on vérifiait si l’autre se sentait bien, pour éviter de se retrouver comme des zombies, sans savoir quoi faire». Propos que confirme Liv Sansoz : «Il faut s’entraîner à rester lucide, rapide en altitude, car on peut commencer à avoir des hallucinations.»

Ont-ils eu peur ? Bertrand Roche : «Avec l’habitude et le nombre d’expéditions qu’on a fait, on a une gestion de la peur un peu automatique. En réalité, on a eu peur avant. Une fois sur le terrain, on est dans un milieu qu’on connaît parfaitement. On ne sait pas tout, mais on s’amuse». Liv Sansoz : «on pouvait avoir un doute sur le passage le plus délicat (sous le «bottleneck», un énorme sérac responsable de dizaines de morts le long de l’éperon sud-est, connu sous le nom de passage des Abruzzes). Quand on est arrivé, il était beau. Cela nous a rassurés, car on a vu qu’il avait l’air bien compact.».

Les difficultés ? «Il fait très froid la nuit, autour des moins vingt degrés. A 8 300 mètres, on sent qu’on est au ralenti. On parle comme si on est ivre. On ressent de grosses distorsions temporelles, on croit se reposer cinq minutes. Et, finalement, on constate que quarante minutes se sont écoulées. A la descente on se sent vraiment bien, on reprend de l’énergie (en passant de 8 600 à 5 000 mètres). Des souvenirs formidables ! On profite du paysage, de la vue. On passe du rampant à l’oiseau. On se retrouve là-haut, déconnecté de la terre. La vision de la montagne, derrière nous, est extraordinaire.»

La voile est plus vive car l’air est plus fin et il faut avoir le geste le plus juste possible. Au reste, il n’y a pas de plan B. «Aucun parachute de secours, explique Bertrand Roche. Donc, il ne faut pas se rater. Les hallucinations, sans oxygène, sont possibles. C’est pour nous un choix. Quand tu es alpiniste, il n’y a pas de sens à prendre de l’oxygène. C’est aussi respecter une certaine éthique. Le faire à la loyale.»

La suite ? «On n’a pas fini d’atterrir de ce projet, il faut digérer celui-là. On vit encore des émotions tellement vives

(1) La plus grande manifestation mondiale de sports aériens, qui se tient depuis samedi et jusqu’à mardi à Saint-Hilaire-du-Touvet et Lumbin dans le Grésivaudan. Ils y ont projeté un court extrait de leur documentaire, en cours de montage.