Quand on randonne en groupe, le soir au bivouac, que l’on soit dans l’Himalaya, en Corse ou dans les Pouilles, on retrouve souvent les mêmes profils : retraités comiques troupiers, solitaires taiseux, fondus de technologie bardés de podomètres, oxymètres et autres capteurs high-tech (ou leurs opposés venus sans gant, masque ni bâton de marche), photographe animalier précédé de ses zooms et de ses focales, pros de la rando alignant leurs treks comme autant de médailles («on a fait le Kili, l’Aconcagua, le GR20 et Compostelle»), sportifs venus avaler les kilomètres ou erreurs de casting ayant surestimé leur forme… De parfaits inconnus pourtant aussi importants pour la réussite d’un trek que la météo et la forme physique…
Pascal Conceillon, accompagnateur de moyenne montagne dans le massif des Bauges en Savoie, guide des groupes depuis plus de vingt-cinq ans. Raquettes l’hiver, randos l’été, tartiflettes par tous les temps. Des milliers de sorties pour des dizaines de milliers de clients (soit l’équivalent d’un Parc des Princes comme il l’a calculé un jour). Avec au final cette biographie sympathique dans laquelle, tour à tour nounou, flic, copain ou psy, il recense avec humour anecdotes et portraits.
Beaucoup d’insupportables dans ses pages (qu’on est heureux de ne pas avoir croisés) : la cliente qui exige des menus végans avant de s’enfiler un énorme burger le dernier soir, le mari tyrannique obligeant sa femme à le suivre, l’handicapé que ses parents ont inscrit pour se débarrasser de lui pendant les vacances, «j’adoooore la randonnée», le client malveillant qui porte plainte provoquant une descente de la gendarmerie, le prétentieux qui sait tout mieux que le guide, celui qui craque devant l’effort, ceux qui, parce qu’ils ont payé, pensent que tout leur est dû et que la montagne et la météo doivent se plier à leur volonté de citadins consuméristes (de plus en plus nombreux, selon l’auteur).
Heureusement, il y a aussi, tout ce qui donne un sens à son métier (il avait été «consultant à cravate» dans une précédente vie) : la famille, les clients qui deviennent des amis, la nature sauvage, les rencontres fortuites, les nuits en refuge… Et tous ces moments magiques que peut procurer une randonnée. «Il y a trois heures, nous ne savions pas que nous serions là. Ce n’était pas dans le programme. Cette magie a un prix. Celui de l’effort, de l’inconfort et celui de l’imprévu. Celui du sac lourd, du matelas pas assez épais et du couchage humide de la rosée. […] Mais aussi du silence absolu, de l’absence de lumières humaines, de la toilette à l’eau glacée et du repas frugal au goût gastronomique.»
Quand la montagne est une passion, au-delà du travail.
Vous me faites marcher, Parcours d’un accompagnateur «moyen» en montagne, de Pascal Conceillon, Glénat, 238 pp., 19,95 euros.