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Libération
Documentaire

Voyage dans les hauts alpages

A l'heure de l'aventuredossier
A contre-courant de son époque, le choix de Félix pour un métier qui l’isole et le maintient hors du monde. Un beau documentaire poétique à découvrir à Autrans cette année.
Extrait du documentaire Un Pasteur de Louis Hanquet (DR)
publié le 12 novembre 2024 à 17h39

«Un pasteur» de Louis Hanquet est un documentaire avare de mots, d’une poésie folle et rempli d’émotion. Le berger Félix est blond comme les blés, et il casse des bûches. On entend en même temps le bruit des cloches de ses brebis, leur bêlement, le gémissement du chien. Puis il monte la clôture, et s’appuie sur sa canne pour observer ses bêtes. L’orage gronde au loin. Il allume le poêle, et lit dans son duvet. Mais voilà qu’on parle du loup. «Il y a eu de grosses attaques du côté Queyras ; une fois quarante brebis, l’autre vingt». Un point blanc s’avance au loin dans la nuit, c’est lui, le loup.

Le lendemain, la pluie tombe dru, et Félix poursuit ses brebis malades pour les soigner. Il boit son café, distribue de la nourriture à ses chiens à quatre endroits différents. Maintenant tombe la neige et les bruits de l’orage au fond, lui en ciré jaune avec sac à dos rouge. Il parle avec son père. «Il y a moins d’herbe, les brebis ne courent plus. 2 000 brebis, ce n’est pas une bonne chose d’en avoir autant, il y en a qui continuent à charger les montagnes. On cherche toujours à améliorer les choses, c’est primordial de voir les choses ensemble et pas chacun de notre côté».

Revoilà le loup, qui a réduit une brebis en charpie. Félix lui fait une tombe avec de lourdes pierres, et présente un œil attristé. Le troupeau passe dans le village, sous un tunnel où résonnent ses bêlements, puis c’est l’heure du vêlage… Donner un biberon à l’agneau. La radio annonce les attaques de brebis, plus de 1 200. Lui note sur un cahier rouge les 17 brebis qui ont agnelé la veille. Il lui en reste une quarantaine. Parmi les nouveau-nés, une ne survivra pas, malgré les massages et les encouragements prodigués par le berger. «Aïe aïe», fait le berger, avant d’enlever son manteau de laine, pour couvrir un autre agneau.

Un autre jour, une autre brebis a été mangée. «Les vautours, cela a été un festin pour eux, ils ont mangé ce que les loups ont laissé, 21 agnelles se sont fait massacrer, elles n’avaient rien demandé à personne, cela a dû être la débandade totale», analyse un berger collègue de Félix. «On a affaire à une tuerie systématique, mais quand on l’a sous les yeux… Des agnelles ça fait encore plus mal, là c’est la relève, tout le lot qui était dehors… Cela me révolte encore plus, notre mode d’élevage c’est le pastoralisme. On ne peut pas les laisser indéfiniment à la bergerie». Rebelote. Tombe avec des grosses pierres, et cette fois-là un bouquet jaune qu’il vient de cueillir, délicate attention… Il écrit une lettre à son père, ancien berger. «J’ai commencé les poèmes de Pessoa, j’ai l’impression que ça parle de nous». Et il récite lentement : «Toute la paix d’une nature dépeuplée, auprès de moi vient s’asseoir, jamais je n’ai gardé de troupeau, mais c’est tout comme si j’en gardais, mon âme est semblable à un pasteur, elle connaît le vent et le soleil, et elle va la main dans la main avec la saison, je suis un gardeur de troupeau, le troupeau ce sont mes pensées, et mes pensées sont toutes des sensations…» «J’espère que la montagne ne te manque pas trop», conclut-il pour son père.