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Libération
Documentaire

Woodstock écolo en terre argentine

Une chanson peut-elle changer le monde ? Avec «Una cancion para mi tierra», le réalisateur Mauricio Albornoz Iniesta relate le combat d’un musicien argentin et de ses jeunes élèves contre les pesticides agricoles.

Avec «Una cancion para mi tierra», le réalisateur Mauricio Albornoz Iniesta relate le combat d'un musicien argentin contre les pesticides. (DR)
Publié le 01/10/2025 à 5h19

Juché sur une petite mobylette, guitare à l’épaule, un homme avance, seul, sur une route bordée de champs. La séquence est à l’image de la résistance entêtée de Ramiro, modeste professeur de musique qui s’oppose en chanson aux puissances de l’agro-industrie. Un David contre Goliath en terres argentines, filmé avec tendresse par le réalisateur Mauricio Albornoz Iniesta (diffusé cette année au Grand Bivouac).

Tout commence quand Ramiro découvre que l’école rurale où il vient de débuter des cours est régulièrement exposée aux pesticides chimiques pulvérisés depuis le ciel sur les champs voisins… Au point de provoquer maux de tête et démangeaisons immédiates chez les enfants - et d’augmenter à terme les risques de cancers.

L’enseignant fulmine, rien n’y fait. «Tu sors et tu ne peux pas respirer. Mais on est presque invisibles !». Alors Ramiro fait ce qu’il sait faire : plutôt que d’enseigner à ses élèves les hymnes patriotiques attendus, il les aide à composer un texte pour dénoncer la pollution qu’ils subissent. Si nous ne le faisons pas, confie le professeur, un soir, à ses proches, qui d’autre en parlera ? La poésie enfantine opère, accompagnée des accords rocks de Ramiro «Vautour de métal, ne lance plus ton poison !».

Bien sûr, les obstacles s’accumulent à l’heure de diffuser au-delà de l’enceinte de l’école cette «chanson urgente pour ma terre», comme la surnomment prof et élèves. La méfiance des parents levés, le titre se voit censuré par le directeur d’une radio locale, car jugé «trop extrémiste». Pour le musicien, il ne reste qu’une solution : faire les choses en grand, pour qu’enfin le message passe. Ce sera un grand concert, un «Woodstock environnemental» ! C’était compter sans la logique du chiffre de l’agro-industrie, depuis les grands propriétaires terriens jusqu’aux simples employés habitués à minimiser les risques qu’ils font peser sur leurs propres familles. «Nous vivons tous de la terre. Si elle n’est plus productive, on ne vit plus», dit l’un. «Je traite avec des pesticides. Si vous le faites bien, ce n’est pas toxique» veut croire un autre. Bientôt, on soupçonne Ramiro d’être contre la campagne, contre les agriculteurs, on lui intime de «calmer le jeu», d’éviter les images et les mots forts…

Le film se place au plus près de ce rocker de héros, attachant dans son refus des compromis, dans son combat pour faire entendre la voix de ses élèves sans jamais élever la sienne, de coups de fil en réunions plus ou moins hostiles. Il semble venir d’une autre époque, ou peut-être d’un autre lieu, où l’on croit au pouvoir de l’art et du dialogue pour faire changer les choses. Naïf ? Le protagoniste lui-même le confesse, quand une amie lâche : «On est un peu ingénus». Et si le monde avait besoin de cette naïveté, de cette résistance pacifique au pouvoir de l’argent ?, semble nous dire Mauricio Albornoz Iniesta. Un documentaire comme un hommage à tous ceux qui luttent.