Perdu dans les montagnes, le Zanskar. Une des régions les plus isolées de l’Himalaya indien. Au milieu coule une rivière. Et sur ses bords, une route. Aujourd’hui, tout le monde y travaille ; les hommes, les femmes… Tous sur cette piste à casser des cailloux, dynamiter les falaises, pelleter le sable. Ils y travaillent tous les jours, sauf le dimanche, et ont abandonné une partie de leurs champs et de leurs troupeaux pour se consacrer à cette nouvelle activité plus rémunératrice.
L’armée indienne a besoin de cette route pour défendre ses frontières. Un rempart géographique infranchissable. Ce passage va lui permettre d’accéder au Pakistan à la Chine, une des zones les plus militarisées au monde. Le chantier est colossal : construire à trois mille mètres d’altitude presque sans moyen mécanique, aplanir et sécuriser la piste puis la bitumer… Autrefois il fallait six jours pour regagner le village le plus reculé. Désormais, avec la route, le Zanskar, le second pays de la réalisatrice Marianne Chaud, se traverse en trois heures.
Alors tous les villageois s’y sont mis. Ils ont planté moins de culture cette année, car «travailler sur la route est plus utile et cela rapporte davantage (douze dollars par jour)». Tout ce qu’ils gagnent, ils l’envoient à leurs enfants. «On ne garde rien pour nous, juste de quoi s’acheter des vêtements et de la nourriture. Le reste part pour les études de nos enfants».
Dans les villages, la vie ressemble au temps d’avant. La charrue est vétuste et sommaire, on ramasse les pommes de terre, les travaux des champs se font un jour par semaine et le soir après la journée de labeur. Combien de temps vont-ils pouvoir garder cet héritage agricole avant de plonger dans le monde moderne ? Au village ne restent que les anciens comme ce vieux qui s’échine sur un métier à tisser et qui se moque de lui-même en racontant «qu’aller chercher des bouses – de yack — pour se chauffer, c’est notre seule préoccupation». Et de poursuivre, lucide, «l’arrivée de la route est un vrai progrès. Sans route il n’y aurait rien pas de quoi gagner de l’argent. Si tu as l’argent tu peux manger ce que tu veux, du riz, des légumes, avant on ne trouvait rien que de la farine d’orge. C’est tout ce qu’on mangeait. On faisait aussi beaucoup de bières. On buvait toute la journée, on était saouls, on se battait beaucoup».
Norbu, lui, a vendu ses chevaux et monte de grosses branches sur son dos, il travaille aussi pour la route et s’est construit une nouvelle maison avec son salaire. Il la veut moderne et spacieuse, il apprend à ses enfants à lire, et espère qu’ils deviendront des citoyens comme les autres.
Un monde meurt. Faut-il le regretter ? Et quel sera le prochain ?
La Route, documentaire de Marianne Chaud.
La steppe, en Mongolie, est immense et découvrir de la nourriture y est rare. On y croise Dawa, Zaya et de leurs quatre enfants. Une famille de bergers. Quand le soir tombe, les enfants se racontent des histoires qui font peur. Des histoires de loups…
Le documentaire de Gabrielle Brady, Les loups sortent toujours la nuit s’ouvre avec une tempête de sable qui anéantit la moitié du cheptel. Il faut se rapprocher de la capitale, construire une palissade pour se créer un refuge en bord de ville. Abandonner leur ancienne vie. Pointe alors la nostalgie d’un territoire dont «les sons vrais et mystérieux murmurent des légendes».
Formée à l’Escuela Internacional de Cine (Cuba) Gabrielle Brady mêle dans cette réalisation documentaire, fiction et récit poétique. Son premier long métrage, Island of the hungry Ghosts, sorti en 2018, explorait les effets psychologiques de la détention. Dans un autre documentaire, Les pantalons cassés, elle nous plongeait dans l’intimité d’une famille partageant sa vie entre les murs d’une petite pièce.
Pour Les loups sortent toujours la nuit, elle a passé de longs moments en immersion auprès de familles nomades déracinées. Le résultat ; un beau film onirique avec des scènes qui s’enchaînent : un homme sur un poney dans le désert. Une chèvre qui s’éloigne pour mettre bas. Le loup omniprésent - «vingt naissances aujourd’hui. Tu as dit que l’oncle avait vu des loups ! Derrière la petite colline ? Des traces là-bas, où le soleil se couche. C’est vraiment proche de notre camp». On évoque aussi ces étoiles rouges qui fusionnent et que l’on nomme «la sorcière gloutonne». Si on la voit, le printemps sera rude.
Les loups sortent toujours la nuit, documentaire de Gabrielle Brady.
«Nous remontons la piste de l’eau, la filière de la soif, l’origine de la vie. C’est notre raison d’aller. Je ne pense plus qu’à cela.» Depuis les années 60, la mer d’Aral n’a cessé de s’évaporer. C’était alors la quatrième plus vaste étendue lacustre du monde avec une superficie de plus de 60 000 km², l’équivalent de deux fois la Belgique. Son assèchement, provoqué par le détournement des deux fleuves qui l’alimentaient, l’Amou-Daria et le Syr-Daria, est sans doute l’un des plus importants désastres écologiques du XXe siècle. Aujourd’hui, protégée par une digue construite au Kazakhstan, une poche d’eau subsiste dans la partie nord, appelée la Petite Aral. Le reste (90 % de la surface initiale) n’est plus qu’un immense désert de sable et de sel balayé par les vents sur lequel s’est échouée une armada de navires de pêche rouillés. Un monde sans relief, éclaboussé de lumière. Caniculaire l’été, glacé l’hiver. Que les Ouzbeks ont rebaptisé Aralkum : «le désert d’Aral».
C’est ici que débute le périple de Cédric Gras. Romancier, aventurier et baroudeur, après des études de géographie, il s’est spécialisé dans l’espace post-soviétique qu’il parcourt inlassablement pour nourrir ses livres. En compagnie du réalisateur de documentaires Christophe Raylat (1), l’écrivain nous emmène dans une longue itinérance en remontant le fleuve Amou-Daria, depuis la mer d’Aral jusqu’à sa source : l’immense glacier Fedtchenko niché à plus de 5 000 mètres au cœur des montagnes du Pamir au Tadjikistan. Un voyage de quelque 2 500 kilomètres à travers quatre pays et des siècles d’histoire. Lire la suite de la critique du livre de Cédric Gras, les Routes de la soif. Voyage aux sources de la mer d’Aral.