Génération Ukraine, une collection de douze documentaires pour sonder l’onde de choc causée par l’invasion russe et la guerre. A partir du 3 décembre 2024 sur Arte. Un programme dont Libération est partenaire.
Les centrales nucléaires sont-elles sûres en temps de guerre ? Cette interrogation posée dès les premières minutes de ce documentaire qui revient sur la prise de contrôle de Zaporijia par les forces russes en constitue la principale problématique. L’enjeu est d’importance quand on sait que ce site, le plus grand d’Europe, fournit 20 % de l’électricité en Ukraine ; un pays touché le 26 avril 1986 par une première catastrophe, Tchernobyl, situé à l’autre bout du pays, au Nord-Ouest. Ce spectre, dont on revoit des archives d’époque, revient dans l’actualité dès le 24 février 2022, lorsque des troupes russes s’emparent de Zaporijia. Après avoir saccagé certaines installations sans prendre les précautions d’usage vis-à-vis de la radioactivité, les forces d’occupation en font une base logistique sur la route de Kyiv, avant que la centrale soit libérée.
Né à Kyiv en 1981, le réalisateur Pavlo Cherepin a bien connu Tchernobyl, un site qu’il dût fuir avec ses parents, tous deux «scientifiques soviétiques», comme il dit. On comprend mieux pourquoi un tel enjeu est central pour lui. Car dans sud-est du pays, non loin du fleuve Dniepr, Zaporijia est vite devenu un champ de bataille, avec toutes les conséquences que cela pouvait augurer. Après la chute d’Enerhodar, la ville ouvrant la voie – via une unique route – vers la centrale, celle-ci est le théâtre de combats tandis que 2 000 personnes y travaillent encore, avant de passer sous contrôle russe le 4 mars. Entrecoupés d’images captées sur le vif, deux anciens salariés racontent les affrontements, les pressions et les tortures – notamment à l’électricité – qu’ils ont subis avant d’être expulsés vers les zones libres d’Ukraine.
«Terrorisme nucléaire»
A Zaporijia, Renat Karchaa, un haut fonctionnaire proche du Kremlin, est mis au service de Rosatom, la société qui pilote la centrale désormais sous occupation. Il assure être là pour la sécurité nucléaire. «Il s’enroulait autour de nous comme un boa…» se souvient un employé, sous couvert d’anonymat. Les forces spéciales ukrainiennes cherchent trois fois, dès le mois d’août 2022, à libérer le lieu hautement stratégique, tandis que l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) tente, de son côté, de s’assurer de la sécurité des installations. Ce sera le cas le 1er septembre 2022, après six mois de tractations, et sous la surveillance de Russes, qui interdisent l’accès à certaines zones de la centrale. Un seul réacteur fonctionne alors encore, servant à garantir le refroidissement des cinq autres. Le toit d’un entrepôt de matériel nucléaire porte encore les stigmates de dégâts, comme les roquettes plantées non loin de là que les Russes attribuent aux tirs ukrainiens.
«Une fois sur place nous ne sommes jamais repartis», raconte Rafael Grossi, le directeur de l’AIEA. Les délégations, inspections et missions se succèdent. Il interpelle l’ONU mais aussi les belligérants : «N’attaquez pas la centrale nucléaire et ne lancez pas d’attaque depuis la centrale ; ne militarisez pas la centrale nucléaire.» C’est tout le propos du documentaire qui, au-delà de cette guerre d’usure, interpelle sur les «conséquences de cette agression qui dépassent les frontières de l’Ukraine», selon un expert américain, évoquant une forme de «terrorisme nucléaire». Le vice-président du Conseil de sécurité de Russie et ex-Premier ministre, Dimitri Medvedev, en est l’apôtre, alors que Vladimir Poutine laisse planer la menace : «Ce n’est pas du bluff. Ceux qui nous menacent d’une frappe nucléaire doivent savoir que le vent peut tourner et souffler dans leur direction.»
Le scientifique américain Siegfried Hecker cite également des intellectuels russes, et notamment Karaganov, influent conseiller de Poutine, qui n’exclut pas le recours à l’arme nucléaire en Ukraine. «C’est sans doute le plus grand danger», poursuit-il, alors que, selon lui, «la Russie est devenue un état irresponsable». En tout cas, un pays qui a choisi de ne pas respecter un accord signé le 5 décembre 1994 – le mémorandum de Budapest par lequel l’Ukraine abandonnait son arsenal nucléaire hérité du bloc soviétique, avec pour garantie sa souveraineté nationale – au risque de remettre en cause toute perspective de dénucléarisation et d’arrêt de la course aux armements. Aujourd’hui, la situation n’est toujours pas stabilisée dans la centrale. On a même craint le pire début juin 2023, lors de l’explosion du barrage hydroélectrique de Kakhovka, un vaste réservoir qui alimentait son système de refroidissement.