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Libération
Je me souviens (8)

«Monsieur Krivine, suivez-nous»: le leader trotskiste ennuyé aux frontières.

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Dans les années 70, être gauchiste n’aidait pas à voyager à l’étranger. Souvenirs du fondateur de la LCR.
publié le 16 août 1996 à 9h30

J’ai souvent eu des problèmes avec le passage des frontières. Un jour ­ nous sommes dans les années 70, Raymond Marcellin est ministre de l’Intérieur ­ je prends l’avion pour aller à Stockholm. Dans la salle d’enregistrement, une demi-heure, trois quarts d’heure avant de monter dans l’avion, des flics de la police de l’air et des frontières me demandent mes papiers: «C’est vous, Alain Krivine? Suivez-nous.» Je leur demande pourquoi. «On a des ordres, suivez-nous.» Ils m’emmènent au commissariat central de Roissy. Et, très fiers de leur prise, ils frappent, ouvrent une porte. Il y avait là un chef derrière un grand bureau.

«On vous l'amène, il est là.» Le type lève les yeux, absolument affolé: «Mais qui? Quoi?» Alors il me reconnaît et, très poli, me demande: «Mais qu'est-ce que vous faites là , Alain Krivine?

­ Je n'en ai aucune idée, je n'en sais rien.» Il interroge les deux autres: «Mais qu'est-ce qu'il a fait?» Les deux flics, emmerdés, rougissants, se tortillent les doigts. Il répète sa question: «Pourquoi vous m'amenez monsieur Krivine?»

Un des flics balbutie alors: «Mais vous savez bien ,le livre!

­ Mais quel livre? De quoi vous parlez?»

Et l'autre, cramoisi: «Mais vous savez très bien, le livre enfin, le livre!»

Effectivement, Raymond Marcellin avait fait distribuer dans tous les postes-frontières un livre plein de noms de gauchistes . Alors, le type se met à gueuler: «Bande d'abrutis! Oui, le livre! Mais vous avez bien vu qu'il était écrit: "à suivre discrètement!» Le chef