Tout homme politique ambitieux mais sensé devrait désormais éviter la case Matignon. Voyez cette brochette d'anciens (et actuel) Premiers ministres : tous ou presque sont ressortis lessivés par ce job harassant, avec l'impopularité pour seule prime de sortie. L'un d'eux, Pierre Bérégovoy, s'est suicidé. Un seul, Jacques Chirac, est parvenu au cours de ces trente dernières années, à se faire élire président de la République après avoir occupé deux fois le fauteuil de Premier ministre.
L'enfer de Matignon (1), titre de l'ouvrage de Raphaëlle Bacqué (journaliste au Monde), est un formidable témoignage sur la pratique du métier politique au plus haut niveau. Douze locataires de Matignon y livrent leur vécu sans tabou. De leur nomination jusqu'à la chute, tous racontent la réalité d'un pouvoir, certes immense, mais tellement difficile à exercer.
La force du livre réside dans son découpage en 23 petits chapitres («Premiers jours», «Les relations avec le Président», «L'ennemi intérieur», «L'usure du corps», «Les médias voilà l'ennemi», «Grâce et disgrâce».) où seuls ont été retenus les témoignages les plus significatifs. La qualité de cette sélection fait que l'on dévore d'un trait cette plongée dans le huis clos des puissants où l'on oscille entre parcours christique et masochisme. Edouard Balladur le dit avec gourmandise : «Il faut vraiment une âme de martyr pour jouer un rôle pareil. Moyennant quoi, je n'ai jamais entendu dire que, qui que ce soit ait refusé de l'