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Analyse

Quand l'opinion règne

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C'est la dernière idée à la mode: l'ère de la démocratie d'opinion. Plus que par le vote, le peuple s'exprimerait dans les sondages, les manifestations. L'ex-méthode Rocard ou la candidature Balladur en sont deux expressions.
publié le 31 janvier 1995 à 23h49

ON NE S'ÉTONNERA pas de lire, dans la bande-annonce publicitaire du tout dernier livre d'Alain Minc, ce jugement péremptoire: «La démocratie d'opinion a entamé son règne.» Au cours d'un dialogue avec Philippe Séguin paru quelque temps auparavant, le même Minc assurait qu'«il existe un acteur historique qui s'appelle l'opinion et qui joue aujourd'hui le rôle que jouaient les classes sociales au début du siècle» (1). Le président du conseil de surveillance du Monde n'a pourtant rien inventé. Il y a sept ans, on pouvait lire sous la plume de Michel Rocard une analyse identique: «D'une certaine façon, l'opinion publique tend à remplacer la lutte des classes comme moteur de l'histoire, en accélérant ou en freinant l'action publique» (2). Cette conception a été plus récemment défendue par deux intellectuels rocardiens pour qui «nous avons définitivement quitté le temps de la démocratie des partis, où chacun incarnait à peu près un intérêt social dominant, pour entrer dans une démocratie du public» (3). Le politologue Bernard Manin s'apprête d'ailleurs à publier un ouvrage dans lequel il explique comment la «démocratie des partis» a cédé la place à une «démocratie du public», concept qu'il a forgé dès 1991 (4).

Balladur, candidat de l'opinion. Le début de la campagne présidentielle 1995 fournit une pléiade d'arguments aux partisans de la thèse d'une «démocratie d'opinion» censée remplacer la vieille «démocratie représentative» organisée autour des partis politiques.