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Enquête

Les métamorphoses de Pigalle

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Très loin des mythologies qui l'ont immortalisé comme territoire de truands flambeurs et de blondes de cinéma, Pigalle n'est plus Pigalle, où le jeune branché a remplacé le touriste qui ne consomme plus guère. Visite sur les ruines d'avant que les cabarets ne deviennent boîtes à musique.
publié le 1er février 1995 à 1h34

Pigalle la nuit ne fait plus peur. Les artistes pick-pockets ont cédé la place à de jeunes trabendistes algériens. On règle ses comptes à la vieille histoire: la drogue, dérisoire au vu du marché de l'héroïne et du crack installé à la porte de la Chapelle. Les truands ont quitté Pigalle et n'y reviennent que pour d'exceptionnels coups de main; les vieux voyous qui y habitent ne sortent plus de chez eux. Il reste une dizaine de prostituées qui ont vieilli dans le bas Pigalle, côté IXe arrondissement, et les travestis, là-haut, entre les rues Lepic et Houdon, dans le XVIIIe. Dans la quarantaine de bars américains, les bouchonneuses accoudées aux fenêtres s'ennuient. Sur le boulevard de Clichy, les stripteaseuses courent d'un cabaret à l'autre, suivant l'arrivage des clients. Pour une misère de 30 francs la prestation de cinq minutes.

Les interventions de la police se ressemblent de plus en plus, pour le provincial monté pour le salon de l'agriculture et qui, dans un bar à hôtesses, refuse de payer l'addition de 1.500 francs: plus de liquide, il craint de laisser, avec un coupon de carte bleue, cette trace de lucre sur le compte familial. L'argent suit l'argent, et les alentours des Champs-Elysées ont volé à Pigalle, durant ces cinq dernières années, son commerce de sexe et ses flambeurs de Pascal. Restent l'histoire, et un décor des fantasmes d'antan.

Rabia, dit le Borgne, alias «l'oeil de Moscou», vétéran des rabatteurs avec quarante ans de métier, porte avec lassitude le même