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Portrait

Art Spiegelman : l'art de la transition

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ART SPIEGELMAN. À 47 ans, le père de «Maus», la bande dessinée iconoclaste racontant les camps de la mort nazis, change de registre en illustrant un texte érotique, «The Wild Party». Rencontre à New York avec un libertaire qui aime à provoquer le nouveau moralisme américain.
publié le 9 février 1995 à 1h19
(mis à jour le 9 février 1995 à 1h19)

- Avec leurs magasins de fringues qui ont détrôné les librairies «alternatives», avec les étudiants presque toujours sages de la New York University, les dealers de Washington Square qui ne vendent plus grand-chose, Soho et Greenwich Village, ces lieux cardinaux de la bohème américaine, ne sont désormais plus qu'un reflet d'eux-mêmes. Et pourtant ils survivent, ils suscitent des échos du passé qui peuvent être de pures créations. À quelques encablures de là, perché dans son studio où la machine à café fonctionne plein tube, un empêcheur de dessiner en rond rendu mondialement célèbre par son évocation iconoclaste des camps de la mort nazis ­ Maus ­ s'est toqué d'un poème sulfureux de l'Amérique des années 20, édité et illustré par ses soins et qui paraîtra bientôt en France.

Grisonnant mais tournure de jeune homme entêté, les yeux calmes mais toujours à l'affût du dessin à venir, Art Spiegelman a lui aussi «survécu», aux extrêmes de l'underground de New York et de la côte Ouest jadis, au drame du suicide de sa mère Anja, au travail de mémoire qui, des années durant, l'a conduit à affronter et à découvrir son père rescapé d'Auschwitz, et même aux temps de coton qui pèsent sur nous aujourd'hui. «Je mène une vie rangée: le travail, les enfants..., d'ailleurs je vis à deux rues d'ici», annonce-t-il en préambule. Et cependant ce père de famille attentionné ­ «je sais que nous sommes des privilégiés, nous avons de quoi envoyer nos gosses à l'école de l'ONU» ­, cet homme dont l'épous