Pour les individus comme pour les peuples, vivre, c'est oublier.
Jamais leur mémoire ne fonctionne comme celles des ordinateurs, capables de superposer des traces à l'infini. Toujours et d'emblée, la mémoire choisit. Notre mécanisme cérébral est fait pour refouler dans l'inconscient la presque totalité du passé et «n'introduire dans la conscience que ce qui est de nature à éclairer la situation présente, à aider l'action qui se prépare» (Bergson, l'Évolution créatrice).
Le souvenir est tissé d'oubli. Vivre, c'est transformer les faits révolus en passé. Et il est légitime que le rapport des sociétés humaines à leur passé se fonde sur des choix par lesquels elles retiennent les faits qui les aident à se projeter dans l'avenir. Pourtant, pour les peuples comme pour les hommes, on ne peut pas vivre sans être un tant soit peu «en paix avec sa mémoire». Les amnisties, aussi nécessaires qu'elles puissent être, ne légitiment jamais l'oubli. Et il y a pire que l'oubli: il y a l'ignorance de ce que l'on n'a jamais voulu voir. S'il est malsain de vivre dans le passé, il est indispensable d'apprendre à vivre avec lui. Amnésie et oubli sont des maladies de l'avenir. Aussi longtemps qu'aucun «travail» sur le passé n'est effectué, le présent ne peut qu'être empoisonné par mille résurgences néfastes.
La société sent que son passé la fonde («Le présent n'a de sens concret et de valeur émotionnelle que parce que derrière lui s'entrevoit une certaine durée», Marc Bloch). Mais son obsession du pré