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Portrait

Self-mode man

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Karl Lagerfeld, 60 ans. Né riche, Allemand et lettré, le styliste de Chanel cultive ses anachronismes tout en sachant rester moderne.
publié le 24 mars 1999 à 0h16

C'est un homme aux yeux noirs, aux tempes encore plus poivre que sel. Tous les matins, il poudre ses cheveux de shampooing sec («égalise la couleur et protège de la pollution»), les arrange en catogan («seule manière de rester coiffé quand on frise»), enfile un costume sombre, noue une cravate («chaque jour depuis l'âge de 11 ans») et chausse d'opaques lunettes («un vieux truc de voyeur») qui l'isolent du reste du monde. Ainsi appareillé, Karl Lagerfeld est prêt. Styliste prolifique (pour Chanel, Fendi ou lui-même), photographe reconnu, collectionneur insatiable (de maisons et de mobilier), bazooka à vacheries, interlocuteur délicieux et lecteur infatigable, c'est aussi un cabot brillant qui livre quelques morceaux, choisis par lui, de son existence de faux dilettante vraiment cultivé.

A commencer par sa naissance d'héritier mâle, en 1938, tant attendue qu'elle en était inespérée, chez des parents plus tout jeunes. Son père, d'origine suédoise, introduit le lait concentré Gloria en Europe. La famille Lagerfeld, installée au nord de Hambourg, souffre peu de la guerre: ni l'argent ni la nourriture ne font défaut. Le chemin des écoliers passe par les champs, il en a conservé une passion inattendue pour les vaches en général, et une dénommée Tecla en particulier, «élue Miss Allemagne et morte foudroyée l'été suivant». Doté d'un solide caractère assorti d'un sévère sentiment de supériorité, le petit Karl déteste les autres enfants: même s'il continue à aimer se faire haïr («comme