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Libération
Portrait

La rage du préfet Bonnet. Fou, Bernard Bonnet? Trop facile. Le sens de l'Etat et de sa mission l'obsédait. Jusqu'à sa perte.

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publié le 12 mai 1999 à 0h58

C'était dans les derniers jours d'avril, à deux pas de l'Ecole

militaire, dans un restaurant des beaux quartiers parisiens. Bernard Bonnet sortait du ministère de l'Intérieur et s'apprêtait à faire un saut à Matignon, essayer de sauver sa tête et expliquer une fois encore qu'il ne savait pas que les gendarmes allaient mettre le feu à une paillote, «dans la nuit du 19 au 20 avril». Comme souvent dans la bourrasque, le préfet était souriant, tendu, surexcité, et ravi d'être reconnu dans cette brasserie où il a ses habitudes. Débordant de rage et d'énergie, les larmes aux yeux un instant plus tard. Le patron est venu le saluer, sans visiblement bien remettre son hôte. «Alors, ça chauffe en ce moment», lui dit le préfet, en salivant d'avance. Et l'autre, le nez dans ses fourneaux, aussi préoccupé de la Corse que de son premier couvert, lui répond: «Oh! comme toujours avec les beaux jours.» Le préfet est retourné à son assiette; de toute façon, il était déjà ailleurs. Tout Bernard Bonnet est là, absorbé jusqu'au bout des ongles dans le marais corse et noyé dans une soif éperdue de reconnaissance. Parfois jusqu'au ridicule, avec quelque chose, peut-être, de touchant.

Cassant. Bien malin qui peut prétendre avoir compris Bernard Bonnet. Il y a, d'un côté, le préfet corseté dans son uniforme, raide, cassant, hautain, impérieux, méprisant parfois, et d'un orgueil absolu. Il ne s'est jamais pris en Corse pour un proconsul, mais bien plutôt pour le bras séculier de la justice, prêt à envo