Jean-Pierre Rioux, historien, est l’auteur de la Guerre d’Algérie et les Français (1).
Comment la France en est-elle arrivée à occulter le mot «guerre»?
En 1954, il ne s'agit que d'une «insurrection», d'éléments «terroristes» que l'on désigne sous le vocable de «rebelles», lesquels fomentent des «attentats», dessinent des «zones insurrectionnelles». Face à tout ça, on «rétablit l'ordre républicain», puis on le «maintient». Dès 1955, on assiste aux premières confusions sémantiques, les rebelles mènent une guerre politique et le maintien de l'ordre ne suffit plus. Dans la presse et chez les responsables politiques français, on parle des «événements». On dit «événement» quand on ne sait pas nommer. Le même mot a été utilisé pour Mai 68. C'est évidemment les opposants à l'attitude française qui vont lâcher le mot. Le premier sera Guy Mollet. En 1955, il est encore dans l'opposition et parle de «guerre imbécile et sans issue». Guy Mollet, qui, une fois élu, va faire la guerre. En 1958, quand de Gaulle arrive, il est à peu près admis que ce qui se passe, ce sont des «opérations de pacification». On peut parler de combat, pas de bataille, les opérations sont de plus en plus typées, «coup de poing», «commando», «parachutages». Le vocabulaire de De Gaulle est délibérément fluctuant. Dès mai 1958, il dit: «Toute une population est jetée dans la guerre», mais il parle en même temps de «lutte fratricide». De 1958 à 1962, le problème n'est pas de mettre fin à une guerre, mais de