Plus qu'ailleurs, la Corse est un étonnant miroir grossissant,
d'autant que les menus dysfonctionnements de la justice sur l'île n'ont jamais rien eu de feutré. Lors de l'audience solennelle de la cour d'appel de Bastia en janvier 1995, les magistrats étaient venus, contre l'usage, en tenue de ville pour bien marquer leur ras-le-bol. Le premier président n'avait d'ailleurs pas tourné autour du pot: «La Corse perd ses repères, et les incantations venues de toutes parts ne font plus illusion. On réclame l'Etat de droit et le rôle affirmé de la justice, mais, curieusement, rien ne contribue à sortir de l'impasse.» Quatre ans plus tard, l'instruction du dossier des paillotes sert d'étendard à la justice, et l'incarcération de Bernard Bonnet, le représentant de l'Etat, a plus fait progresser l'Etat de droit que toutes les réformes de l'institution.
En 1995, les magistrats ont des raisons d'être moroses. Les appartements du procureur, du président et d'un juge de Bastia sont plastiqués, Jacques Toubon a juré qu'il viendrait soutenir le moral des troupes, mais le garde des Sceaux a d'autres juges à fouetter. C'est la fin d'une première période: la tutelle de la chancellerie n'est pas trop lourde, elle est absente. Arrive un nouveau procureur général, Jean-Pierre Couturier, en janvier 1995, qui jure que «l'Etat à l'impérieux devoir de maintenir la paix publique avec une juste fermeté». Il a vite déchanté, avalé son chapeau et digéré son hermine: l'intérêt supérieur de l'Etat commande,