Tout le monde l'aimait bien, Erignac. Le préfet était charmant, avait toujours un mot aimable pour chacun sur le marché, pédalait dans la montagne et jouait fort bien au tennis. Mais se morfondait en Corse et ne rêvait que d'une chose: être rapatrié sur le continent. Il n'est resté, à une semaine près, que deux ans sur l'île, mais c'était, depuis onze ans, le préfet en poste le plus longtemps à Ajaccio. Son assassinat a fait de Claude Erignac un grand préfet, il savait bien, lui, que la vérité était plus amère.
Lorsqu'il s'installe, le 12 février 1996, au palais Lantivy, Jean-Louis Debré, le ministre de l'Intérieur, est en train de boucler les négociations avec le FLNC-Canal historique avec la bénédiction de l'Elysée. Et il n'est pas question de tout mettre par terre avec l'arrestation intempestive d'un militant. Alain Juppé, le Premier ministre, désapprouve, Erignac aussi, mais il leur faut attendre l'attentat contre la mairie de Bordeaux, le 5 octobre, pour que Matignon reprenne le dessus. Le préfet n'a pas les mains beaucoup plus libres, la contestation agricole monte, le gang de la «Brise de mer» contrôle la moitié de l'île, la mafia s'agite dans l'extrême sud, l'économie est au point mort, les enquêtes aussi. Il faudra attendre son assassinat pour que l'Etat donne à son successeur, Bernard Bonnet, les moyens d'une opération mains propres. Erignac avait noté dans ses calepins un mot de Blaise Pascal, qui résume assez bien le destin des préfets de Corse: «La justice sans l