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Portrait

Maurice Herzog Droits d'hauteur

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Maurice Herzog, 81 ans, héros de l'Annapurna, cultive depuis 1950 la légende qui lui a ouvert une vie d'honneurs et de pouvoir.
publié le 7 juin 2000 à 1h19

Maurice Herzog joue de ses mains mutilées, marionnettes rondes aux amorces de doigts fripés, où les greffes ont laissé des stigmates sombres. Elles se joignent sous le menton, comme en un geste de prière, feuillettent presque sans difficulté un exemplaire d'Annapurna premier 8000, best-seller signé Maurice Herzog. En les perdant, il y a cinquante ans, il a gagné la gloire, les honneurs, le pouvoir. Il sait qu'elles inspirent le respect, la pitié, le dégoût. Sans doute sent-il cet instant d'hésitation lorsqu'il tend la main. Et peut-être en joue-t-il lorsqu'il ajoute, hasard ou humour noir: «Je suis en retard, on m'a coupé l'eau.»

C'était le 3 juin 1950. A quatorze heures, dans des bourrasques de vent glacial, Maurice Herzog se tient avec Louis Lachenal au sommet de l'Annapurna, 8 078 mètres. Au retour de l'expédition, la France de l'après-guerre se reconnaît dans cette conquête cocardière et dans celui qui l'incarne le mieux: Maurice Herzog, le chef de l'expédition, qui brandit le fanion tricolore sur le ciel noir de l'altitude. Au sommet, il est resté une heure, en extase. L'altitude, le manque d'oxygène, peuvent produire ça: l'euphorie, des hallucinations, ou un accès de mysticisme, tout dépend de la condition physique ou de la personnalité. Louis Lachenal, le guide resté lucide, le précède à la descente. Maurice Herzog le suit vingt minutes plus tard et perd ses gants. Il a raconté dans Annapurna premier 8 000 son arrivée aux tentes du camp V: «Terray, fou