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Libération
Portrait

André Turcat Le sage volant

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André Turcat, 79 ans, pilote d'essai du Concorde, a souffert après le crash du 25 juillet. Il plaide pour que «son bébé» revole.
publié le 3 janvier 2001 à 21h27
(mis à jour le 3 janvier 2001 à 21h27)

Il tasse son mètre 85 dans le cockpit exigu, caresse le manche qu'il a jadis dessiné sur le papier, effleure les palettes de commande des moteurs. A travers le pare-brise, il voit poindre le nez de l'avion, ce long museau de tamanoir. Un signe de sa part et la bête reprendra sa cambrure altière. Avec le plaisir du travail bien fait, il se livre à ces examens méthodiques qui ont occupé tant d'heures de sa vie. «Allô, Blagnac sol, ici Concorde Fox Bravo Victor Fox Bravo, prêt à décoller.» L'oiseau blanc s'ébroue, se met doucement en marche, puis de plus en plus vite, jusqu'au «moment grisant de la puissance tenue en main» où le sol se dérobe. Ce 31 mars 1976, André Turcat quitte la terre aux commandes de Concorde pour la dernière fois. Il se souvient de chacune des secondes de cet ultime vol. Ce sentiment unique d'une incroyable fierté et d'une immense amertume. Il sait qu'il n'aura «plus jamais le droit d'y toucher». Mais se répète aussi que la mission est accomplie: «Le gros oiseau vole, il vole bien.»

L'accident du 25 juillet 2000 l'a terrassé. D'abord le choc, la peine. Puis la question inévitable, qui torture : «Ai-je bien fait mon travail? Avons nous pensé à tout?» Certes, le supersonique est né de l'effort conjugué de centaines d'hommes, de part et d'autre de la Manche. Mais dans l'esprit des Français, c'est lui le père, «l'accoucheur». Tous se souviennent de sa pose faussement modeste en cravate et blouson de cuir, ce sourire contenu sous un crâne déjà dégarni, à la une