On l'attend. Martine et sa liste à la tribune, les mères de Lille-Sud au premier rang, les jeunes au fond, revendicateurs. Le voilà. Massif, rouge. Il avance à grandes enjambées. Pas l'air vieux, l'air interminable. Longues mains blanches, les mêmes qui se levaient à l'Assemblée quand il jubilait aux premiers jours de 1981 devant la nouvelle opposition chahuteuse : «Comme je vous comprends. Nous avons attendu vingt-trois ans à votre place !» Avec le temps, le visage s'est élargi, l'abdomen a pris de l'ampleur. Cheveu blanc, sourcil blanc, épaules de videur. Toujours ses éternels costumes-cravate, comme une armure. Plus de Chaban à Bordeaux, plus de Defferre à Marseille. Le dernier, c'est lui. A Lille, on l'appelle «le Gros». Les mères des premiers rangs applaudissent. Les jeunes du fond sifflent. Il passe, magnanime : «Ils ont droit à l'ingratitude.»
Le vieux matou s'installe, l'oeil mi-clos, à la gauche de Martine. A côté, sous la frange, elle a l'air d'une gamine. Première réunion publique de la campagne. Mauroy a choisi : il laisse la place. Partir, c'est servir Lille, disent les fidèles. Il l'a choisie quand la gauche était au fond du gouffre. Il l'écoute vanter le bilan, promettre. Il semble mâchonner quelque chose, lointain. C'est son tour. Le ton est lent, ample. Il est heureux d'être au «Sud», Lille-Sud, son ancien fief de député. Il remonte le cours de l'histoire. «Quand je suis arrivé... premier adjoint...» Les mains s'animent, Mauroy rugit, feint la colère, tance l