Un mouchoir, formé d'un bout de chemise déchiré, aux bords tressés. Dessus, il y a brodé cette phrase malhabile: «J'ais été arrêter (sic) le 15 juillet 1962.» Khelifa Haroud, quatre ans harki, puis cinq ans interné par les Algériens après l'indépendance, sans jugement, l'a brodée dans sa cellule, en Algérie, avec une clé de boîte de conserve transformée en aiguille et des bouts de fils arrachés à ses habits. Un morceau de mémoire. Khelifa a écrit son nom, celui de ses enfants, ses endroits de détention. Il ne savait ni lire ni écrire, il a suivi de son aiguille les signes gravés au stylo par un copain lettré. Puis, ce mouchoir, il l'a cousu dans un pantalon qu'il a remis à sa femme au parloir, pour être sûr qu'il sorte. Khelifa libéré, la famille Haroud est venue en France, l'exil des harkis. Le mouchoir a suivi, enfoui.
Mme Haroud l'a ressorti pour le donner à sa fille quand elle s'est mariée en 1971, sa fille l'a repassé à sa mère en 1997 quand elle a su que son frère Farid faisait des documentaires sur les harkis. Farid avait 30 ans et il l'a pris en pleine tronche. Son père n'en avait jamais parlé: «Pour lui, être harki, c'est une malédiction, il a voulu nous protéger.» Farid n'avait pas cherché à voir: «Trente années à fuir la vérité, à nier ce que nous avions vécu.»
Avec son mouchoir, Farid part sur le chemin du souvenir. Mémoire familiale, mémoire collective, tout un puzzle à reconstituer pour un documentaire télé à venir. Ça s'appellera le Mouchoir de mon père. Silence