Il y a des jours où il vaudrait mieux rester couché. Amichel en rêvait souvent. Ouvrir l'oeil et le refermer, s'entortiller dans la couette, y disparaître voluptueusement. Mais paresse et volupté n'avaient place dans un programme qui ne lui laissait aucun répit, et sa fatigue prenait de plus en plus les formes de la dépression. Il avait beau être un des comiques les plus célèbres de l'Hexagone, il n'était pas gai. Il n'acceptait pas de vivre avec les reins d'un mort, ça tournait à l'obsession. Dix ans plus tôt, les chirurgiens lui avaient greffé les rognons d'un motard polonais à l'avant de l'abdomen, et avaient laissé les siens, trop mal en point pour être transportables, à leur place dans les lombes. La Pologne lui évoquait la tristesse de corons embrumés, et il aurait préféré affronter avec des organes plus prestigieux, ceux d'Yves Montand par exemple, cette néphrétique anarchie qui, au-delà de l'épreuve mentale, lui faisait courir le risque mortel de prendre des coups dans le bide. (...)
Les choses avaient commencé à puer le formol à la mort de Ludo, son agent. Amichel n'avait jamais eu beaucoup d'affection pour ce Rital, même si quinze ans de collaboration créent forcément des liens. Mais il se sentait un peu responsable de l'accident de ce bavard invétéré. Ludo lui avait laissé un message, Amichel l'avait rappelé sur son portable sans se douter que l'imbécile fonçait à la Maison des arts de Créteil dans sa BMW. Ludo lui avait annoncé la tentative de suicide d'Amarante d