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Le cordon bleu voit rouge

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par Chantal PELLETIER
publié le 23 août 2001 à 0h27

Depuis des années elle veut une cuisine intégrée.

­ Sois patiente, je ne peux pas sortir une telle somme en ce moment, il faudrait brader le stock...

Il l'embrasse. Il est douceâtre, l'oeil vide, sa sueur empeste. Elle pense: il vient de se fourrer dans une femme. Depuis qu'elle l'a surpris près de la décharge en train de trousser la fille Béraud, elle sait. Il la trompe environ une fois par semaine. La fille Béraud, même si elle n'est pas la seule, a droit régulièrement à sa dose liquide. Monique sourit, elle s'en fout, elle aura sa cuisine.

­ J'ai assez attendu. Il me la faut avant Pentecôte.

André se lave les mains. L'eau noire qui coule sur la céramique de l'évier la dégoûte. Peut-être est-il encore séduisant, mais elle n'a plus de regard pour sa beauté. La silhouette alourdie par une superposition de pulls, de gilets, de canadiennes, il revient toujours sale de ses visites de greniers, de chiffonniers...

­ Elle n'est pas si mal, ta cuisine.

­ Ce foutoir?

Tous ces appareils et ces meubles qui n'ont pas été conçus pour vivre ensemble, et si difficiles à nettoyer! Moni que entend sa soeur lui dire, le dimanche de Pentecôte, comme cha que année: «Ma pauvre, tu n'as pas encore changé ta cuisine!» Non. Ni de cuisine, ni de mari.

Quand André était ébéniste à son compte, ils habitaient à Amiens un grand appartement haut de plafond, avec une cuisine à l'ancienne bleu tée par les carreaux de faïence. Pendant des heures, tapie dans l'odeur blonde et propre de l'atelier, elle regardait son