On dirait qu'un cyclone vient de balayer un dépôt de vieux papiers. Des milliers de journaux, tracts, publicités sont retombés comme des feuilles mortes. Entre les tas, un survivant a frayé des sentiers de la largeur d'un pied, qui se croisent du lit à la cuvette des WC, d'une étagère envahie de barquettes de riz vides au lavabo qui fuit. Des années d'accumulation, un annuaire ou une brassée de prospectus montés au troisième étage de la cité du Calvaire à Toulouse, jamais déblayés. Avant, Pierre Seel scotchait parfois sur un mur un beau mec nu, double page du dernier numéro de Gai Pied. «Mais je ne suis plus assez gai», dit-il. Dans le silence qui a étouffé sa vie, sous les aiguilles arrêtées des pendules de son HLM, le vieil homme attend un ultime papier. La reconnaissance officielle de son statut: déporté homosexuel. Sa honte et sa fierté, sa dernière raison surtout de supporter une «misérable solitude».
Au camp de Schirmeck (Alsace), les SS s'amusaient à jeter des papiers au vent, les détenus devaient se précipiter pour les ramasser. Parfois, les papiers volaient dans la zone interdite, devant les barbelés. Ceux qui couraient les chercher étaient abattus à bout portant pour tentative d'évasion. Ceux qui refusaient l'étaient aussi, pour désobéissance. Pierre, dix-sept ans en 1941, portait la barrette bleue des Schweinhund, «cochons de chiens», les homosexuels. Dans le camp, «concentré de la société», ils étaient torturés par les bourreaux et bannis par les détenus. Un jour,