Dans quelques mois, il sera parti. Les ateliers tourneront sans lui, dans l'incessant grondement des presses, et le cliquetis de la monnaie. Georges Garrabet partira en retraite anticipée. Quittera la zone rouge, et ses camarades en bleu. Peu de temps finalement après le franc, qui a occupé toute sa vie d'homme au travail. Il n'établit de lui-même aucun parallèle entre lui et la vieille monnaie. Pas de trémolos pour l'argent sous le drapeau rouge du local syndical de la CGT. Là, ils l'appellent «Jojo». Surnom d'une vie professionnelle, malgré tout indexée sur le franc.
Georges Garrabet figure sur la page qui se tourne. Il a 58 ans et travaille à la maintenance, après avoir été au laminage. Il en a regardé des pièces à la loupe, pour vérifier l'usure des presses. Il en connaît tous les recoins, toutes les cachettes. La vingt centimes, par exemple: «Elle a un point de faiblesse. Quand la pointe du casque de la Marianne est fissurée, c'est pour nous synonyme de pièces à rebuter.» Quand il dit nous, il veut dire ouvriers monnayeurs, car vu des ateliers, les supérieurs, les ingénieurs sont, eux, plus inquiets de rendement que de finition. «Il y a une culture, un savoir-faire retransmis d'ouvrier en ouvrier», dit-il, fiérot. «Y a pas de génération spontanée», disait souvent l'un de ses anciens supérieurs. «Et à tous les niveaux de la hiérarchie», ajoutait Garrabet. Il appartient à cette vieille aristocratie ouvrière, qui a l'esprit de corps et le vieux réflexe de classe.
Il est arri