Dans «le Rappel à l'ordre», vous croyez déceler et vous inventoriez, parmi les intellectuels et écrivains français contem porains, une mouvance de «nouveaux réactionnaires». Comment définissez-vous un «nouveau réactionnaire» ?
Un réactionnaire, c'est quelqu'un qui pense que c'était mieux avant. Un nouveau réactionnaire, c'est quelqu'un qui, n'ayant pas montré jusque-là une telle attitude, commence brusquement ou subrepticement à penser ainsi. On en trouve aussi bien à droite qu'à gauche. Ils sont nouveaux en tant que réactionnaires, mais leurs idées ne sont pas neuves. C'est un rapport à l'Histoire : ils la réécrivent comme l'histoire d'une chute, d'une décadence. Comme Heidegger, ce génial réactionnaire, pour qui il y a chute, perte de l'être, depuis les présocratiques. Pour le progressiste, tout va de mieux en mieux. Pour le réactionnaire, tout va de mal en pis.
Vous agglomérez sous cette étiquette carpes et lapins : Michel Houellebecq, Maurice Dantec, Philippe Muray, Marcel Gauchet, Alain Finkielkraut, Pierre-André Taguieff, Pierre Manent, Régis Debray, Jean-Claude Milner, Alain Badiou... Croyez-vous vraiment qu'on puisse ainsi les réunir ?
J'insiste bien sur le fait que ce n'est ni une école, ni un complot, ni un retour aux années 30, et qu'il n'y a pas de chef d'orchestre clandestin. Mais il y a une sensibilité commune : un air du temps les réunit, une humeur chagrine face à la modernité. Beaucoup font de plus en plus référence au pessimisme fin de siècle de Schopenhauer ou de Nietzsche. Ils sont très réservés sur l'évolution du féminisme, de l'écologie, de l'école pour tous, de la lutte en faveur des immigrés, et déplorent une conception «béate» de la démocratie.
Une «humeur chagrine face à la modernité», dites-vous. Qu'est-ce pour vous que la «modernité» ?
Le philosophe allemand Jürgen Habermas parle du «projet moderne». L'idée est que le projet des Lumières, malgré les désillusions et les imperfections, n'a pas avorté. J'y adhère. Beaucoup ici pensent qu'on est allé trop loin dans l'acquisition des droits nouveaux. Je pense qu'on n'est pas allé assez loin, et que l