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Libération
Portrait

Cassandre le bienheureux

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Paul Virilio, 70 ans, philosophe et urbaniste. Il ausculte avec sérénité une société malade de la vitesse et du risque technologique.
publié le 16 décembre 2002 à 2h09

La chaleur est suffocante, l'asphalte amolli englue les pas du jeune homme à la houppette et les pattes de son petit chien blanc. Au coeur de la ville, harassés, interdits, les passants désignent du doigt la boule de feu qui grossit au firmament. Frappant un gong à toute volée, un petit homme chauve, toge blanche et regard allumé, invite chacun à la repentance. Car, dit-il, est venue l'heure du Châtiment, l'Apocalypse, la Fin des temps. Ainsi parlait Philippulus, page 7 de l'album de Tintin l'Etoile mystérieuse. De méchantes langues pourraient attribuer à Paul Virilio la place du prophète de Hergé dans la partie en cours sur l'échiquier philosophique. Tant celui qui, depuis vingt ans, pourfend la vitesse, les ratés explosifs de la technologie (et encore aujourd'hui à la Fondation Cartier avec «Ce qui arrive» (1), son musée de l'accident), assume avec constance la posture d'un Cassandre pour lendemains qui font bien pire que déchanter.

Restons calmes. Parlons plutôt des trains qui arrivent à l'heure. Celui à grande vitesse qui nous mena un jour d'automne en gare de La Rochelle fit preuve d'une sûreté et d'une exactitude que le rail helvétique nous envie. L'homme est aisément identifiable : il a plaqué sur lui une pancarte «Virilio» tracée au feutre sur un carton. Ici s'estompe la silhouette de Philippulus : le petit homme chauve a lui aussi le regard allumé, mais par la malice d'un curieux de tout, d'un chaleureux, aimant avec simplicité le contact avec l'autre.

On traverse d'u