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Libération
TRIBUNE

Un damier aux cases closes.

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par Régis JAUFFRET, écrivain
publié le 31 janvier 2004 à 22h27

Il y a tous ces Marseille où les gens vivent, ils passent parfois de l'un à l'autre comme on change de continent, et puis il y a ce Marseille qu'on donne à visiter aux médias, aux touristes, comme un appartement témoin aux peintures neuves, bleues, à l'odeur fraîche, anisée, comme le fenouil qui sur le port en plein midi aromatise le loup pêché trois jours plus tôt dans l'Atlantique. Il est trop cuit pour ouvrir sa gueule et hurler qu'on lui a volé son nom de bar pendant le transfert. Pauvre poisson, un sans-papiers comme un autre dans cette ville où cadres et retraités viennent chercher le soleil, le bonheur peut-être, en tout cas de quoi réchauffer leur âme rafraîchie par des années de travail sous le ciel plombé de la région parisienne.

Marseille est un songe, surtout pour les gens qui sont nés dedans. Ils font semblant d'y croire, ils vivent sur des ragots entendus autrefois dans la cour de l'école, ou sur les souvenirs de leurs grands-parents qui leur racontaient des histoires pour qu'ils s'endorment enfin et fassent de beaux rêves. Ils imaginent le pont transbordeur enjambant jadis la mer jusqu'à Tunis, poussant parfois jusqu'à New York ou Zanzibar. Marseille ne s'est pas remis de ses malheurs du siècle dernier, le temps l'a ridé comme le soleil cuit la peau des femmes qui se laissent griller sur les gravillons de la plage du Prado des premiers rayons de juin aux dernières lueurs d'octobre. Marseille, le bal, les splendeurs, la gaieté, la joie qui gonfle comme une fortu