Christiane Taubira, députée apparentée socialiste, est l'auteure de la proposition de loi reconnaissant la traite négrière et l'esclavage comme crime contre l'humanité votée le 10 mai 2001. Elle analyse les traces laissées par cet épisode dans l'inconscient collectif des Noirs.
Sentez-vous monter chez les Français noirs un sentiment de frustration ?
Je parlerais de frustration pour la génération des 40-50 ans. Chez les jeunes, je parlerais plutôt d'exaspération. Pour moi, la frustration est synonyme d'impuissance. Or, les jeunes saisissent toutes les occasions de dire : «ça suffit.» Et je crois que se dresser ainsi contre l'injustice est positif. A condition que la société entende. Si elle reste sourde, je ne préjuge de rien...
Le trauma de l'esclavage joue-t-il un rôle dans la montée de cette exaspération ?
Les jeunes sont conscients que, si la France n'avait pas été un empire colonial, et si cet empire ne s'était pas démantelé dans les conditions que l'on sait, ils ne seraient pas là aujourd'hui. Ces épisodes sont constitutifs de leur présence ici, donc de leurs droits.
La page de l'esclavage n'est donc pas tout à fait tournée ?
Il y a chez nous une souffrance immémoriale de la traite et de l'esclavage. Mais c'est une souffrance indicible qui se ressent plus qu'elle se transmet. Il n'y a jamais eu d'explicite dans la transmission. Lorsque l'esclavage a été aboli (le 27 avril 1848, ndlr), des consignes de silence ont été données. Les gouverneurs qui ont lu l'acte d'abolition ont