J'ai commencé à entendre parler de l'oeuvre de Sartre pendant l'Occupation. Je me rappelle avoir désespérément tenté de me procurer un exemplaire des Mouches. Je ne connaissais pas alors Sartre, mais son nom m'était familier depuis 1943. Mon père, ami d'enfance de Raymond Aron, chez les parents duquel il avait quelque temps habité, à Versailles, m'avait dit que Sartre était tenu pour un des hommes les plus remarquables de sa génération.
On avait lu Aragon pendant la guerre, mais il y eut une sorte d'explosion à la Libération où Sartre incarnait la figure de l'écrivain en résistance. Je me rappelle le premier long texte que j'ai lu de lui, la présentation du numéro 1 des Temps modernes. Un manifeste de la littérature engagée.
Je l'ai rencontré pour la première fois en 1958 quand est paru mon livre l'Affaire Audin (1). Une réunion sur la torture avait été organisée à l'hôtel Lutétia, dans les derniers jours de mai, quand le régime était en train de basculer. Il y avait Sartre, Mauriac, Schwartz, Daniel Meyer. Sartre a fait une étude critique de mon ouvrage, expliquant que c'était un travail d'historien comme il convenait d'en faire. Inutile de dire que cela m'a touché au coeur. J'avais 28 ans, c'était mon premier livre, être analysé par Sartre était très impressionnant. J'étais très intimidé et je lui ai peu parlé.
En 1960, en revanche, c'est un souvenir très net, j'ai parlé avec lui. Nous étions lui et moi témoins au procès de l'écrivain Georges Arnaud. Il était poursuivi pour n