Daniel Bensaïd, philosophe et dirigeant de la LCR, répond à Toni Negri qui, dans Libération (le 13 mai), soutenait le oui à la Constitution au nom de ses convictions de «révolutionnaire réaliste». Une opinion développée le même jour dans un meeting avec Daniel Cohn-Bendit et Julien Dray.
Toni Negri justifie son oui par la volonté d'en finir avec l'Etat-nation et de combattre l'empire américain. Comprenez-vous cette stratégie ?
Ses arguments sont étonnants : l'Europe serait progressiste puisque, selon lui, elle «dépasserait l'Etat-nation comme forme d'organisation des élites capitalistes». Mais l'Europe, si elle aboutit, sera un nouvel Etat, plutôt un proto-Etat avec moins de pouvoir politique. Dans les faits, ce sera un despotisme marchand. Surtout, les élites capitalistes d'aujourd'hui sont pro-Constitution, pour l'Europe telle qu'elle s'est faite et continuerait à se faire. Et il ajoute : «L'Etat-nation est le lieu d'organisation du marché.» Les bras m'en tombent ! Le marché aujourd'hui s'organise tout autant via les mécanismes européens, à commencer par la Banque centrale. En fait, les espaces s'emboîtent : nationaux, européens, mondiaux.
Toni Negri pense que pour balayer la vieille forme de l'impérialisme, il faut s'allier à la bourgeoise ?
L'argument de l'alliance avec la partie la plus progressiste de la bourgeoise est celui de tous les renoncements réformistes. Faire ainsi contrepoids aux Etats-Unis est illusoire, puisqu'il s'agit de copier leur modèle de régulation, et s