Elle a le cul en l'air. L'air de chercher, la tête en bas au ras du sable. Du sable, elle en extrait une honorable palourde. Evaluée à vue d'oeil et admise. L'infortunée vient rejoindre bruyamment ses copines dans le seau. Les bottes reprennent leur mouvement traînant, en faisant de petites giclées. La nuque inspecte l'horizon. Et s'arrête. «C'est quoi l'estran ?» renvoie-t-elle, étonnée, à la question qui a surgi des airs. Elle foule pourtant exactement ce que définit ce joli petit mot. Cette portion de côte, déshabillée de la mer deux fois par jour, et qui ressemble alors à une table ouverte. Les premiers convives, les pêcheurs à pied, ramassent coquillages et crustacés, sans connaître l'estran, qu'ils appellent plutôt la grève. On passe d'emblée pour une Parisienne. Avec la bouche ouverte sur des mots inutiles.
Pourtant, si. L'estran n'est pas une invention de la capitale, mais vient de l'ancien français estrande («rivage») au XIIe, qui a forgé le terme en 1687. Le Robert le définit comme la «portion du littoral entre les plus hautes et les plus basses mers». Une frontière mouvante qui apparaît quand la mer, tributaire des astres, entame son reflux en s'aspirant elle-même. Vague après vague, un paysage se découvre, rendant provisoirement au ciel du sable et des rochers humides, des stries d'algues, des semis inégaux de coquillages et des trouées de flaques dans lesquelles des crabes verts reposent leurs pinces. On n'en veut pas à la pêcheuse de s