C'était un soir de mars 1996, nous jouions Tartuffe, on me dit : «Ariane, Léon Schwartzenberg veut te voir !» Léon m'a alors dit : «Voilà, j'ai 350 sans-papiers, qui, expulsés de Saint-Ambroise et du gymnase Japy, s'entassent dans un local de SUD, peux-tu les recevoir?» Or un conseiller de Debré assistait à la représentation ; j'ai dit : «Ce soir c'est difficile, il va croire à une provocation, mais demain c'est d'accord !» Le lendemain matin, donc, avec notre vieil autobus, nous sommes allés chercher les sans-papiers au métro. Ils étaient épuisés et inquiets. D'abord, j'ai demandé leur parole d'honneur qu'ils ne troubleraient pas les spectacles, et ils ont tenu parole. Ensuite, j'ai dit : «C'est vous, et pas un de plus !» On les a installés. Les femmes et les enfants à la Tempête et à l'Aquarium, les hommes au Soleil ; les pauvres, ils devaient attendre la fin de Tartuffe pour dormir ! Nous avons partagé ce lieu, ce fut un moment que je n'oublierai jamais, un moment d'utopie, comme si, ici, se tissait un monde meilleur entre l'art, l'intelligence des médiateurs, la beauté de la lutte des sans-papiers, avec leur humour et leur gaieté. Oui, ce fut une bataille heureuse. Je regrette l'occasion manquée par la gauche lorsqu'elle est arrivée au pouvoir l'année d'après. Tout était réuni pour engager un vrai débat public. En affirmant l'accueil et le droit d'asile, mais aussi, défendant les valeurs de la démocratie, en parlant f
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Ariane Mnouchkine «Une occasion manquée par la gauche»
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publié le 23 août 2006 à 23h01
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