La popularité de François Bayrou, candidat néocentriste à l'élection
présidentielle, ne désigne pas seulement le fantasme de l'apolitisme
qui règne de nos jours au sein de la nation française (comme dans
toute autre population d'Occident «fatiguée d'être»). Il indique
encore à quel point ce fantasme révèle aussi le consommateur moderne —
travaillé par un mélange intime de désirs et d'angoisse.
François Bayrou vend au public une hypothèse. Il lui fait croire que
les langages politiques constitués sont dépassables, et que lui-même
les a dépassés. Il rénove à son compte la trouvaille des premiers
Verts ayant fait de l'environnement naturel, voici quinze ou vingt
ans, un ailleurs idéal en fonction duquel toutes les dialectiques, et
tous les conflits d'intérêts matériels, se simplifieraient
miraculeusement pour être plus faciles à gérer.
Donnez-moi l'Elysée, dit Bayrou, et je réaliserai pour vous toutes les
synthèses utiles du moment. Délassez-vous. Je vous offre de n'être
plus la citoyenne ou le citoyen lancés dans cette tâche infinie qui
consiste à se situer dans la conjoncture. Ne soyez plus déchirés entre
les valeurs du socialisme et celles du conservatisme, entre votre foi
dans le progrès et votre méfiance à son endroit, entre les promesses
de la ville et les réconforts de la campagne, entre la tiédeur des
habitudes et les incertitudes de l'avenir. Je suis là pour tout
trancher à votre place.
Ce discours fonctionne infailliblement, bien sûr: qui ne voudrait
profiter de vacances civiques offertes o