Véritable star de la conférence de presse, cité à plusieurs reprises par Nicolas Sarkozy, le sociologue et philosophe Edgar Morin explique à Libération ce qu'il entend par «politique de civilisation» et donne sa version de son entretien avec le chef de l'Etat.
Qu'est-ce que la «politique de civilisation» ?
C'est venu dans les années 80, dans des articles, puis le terme s'est cristallisé dans un chapitre d'un recueil de textes avec Sami Nair, paru en 1997, puis dans un petit livre, Pour une politique de civilisation (1). A l'époque, cela n'avait suscité l'intérêt ni des responsables politiques, auxquels je l'avais pourtant envoyé, ni des médias. Je pars du constat que la civilisation européenne occidentale a produit d'innombrables effets positifs - démocratie, droits de l'homme, individualisme, progrès scientifique et technique -, mais également des effets négatifs de plus en plus importants, voire prépondérants. Ainsi l'individualisme, qui donne à chacun un minimum de responsabilités, s'est accompagné du dépérissement des solidarités. Dans les grandes villes, quand quelqu'un tombe dans la rue, avant, on l'aidait ; aujourd'hui, les passants se disent que c'est aux flics ou au Samu de s'en occuper. Il y a une dégradation de la responsabilité : enfermé dans son petit secteur de spécialisation, chacun perd de vue l'ensemble du système dans lequel il agit et se coupe de la responsabilité globale. Le bien-être matériel s'est accompagné d'un mal-être psychologique et moral. Les dégradations écologiques