Ils voulaient offrir à des orphelins du Darfour une enfance heureuse dans un pays en paix ; ils sont rentrés sous les huées. Ils se rêvaient en chevaliers de l'humanitaire ; on les boucle en prison comme de vulgaires malfaiteurs. Bien des choses ont été dites sur ce naufrage : il met en péril la force européenne qui doit bientôt protéger les réfugiés du Darfour, il trahit le néocolonialisme de la France, etc. Mais au-delà des enjeux diplomatiques et militaires, le fiasco de l'Arche de Zoé illustre la manière dont un millénarisme au service de l'enfance en danger peut agir sous couvert du «devoir d'ingérence». Les membres de l'Arche de Zoé sont des illuminés ; mais il faut faire la généalogie de leur folie, car elle emprunte à des schémas de pensée qui, eux, sont non seulement tout à fait rationnels, mais propres à une conception bien française de l'aide à l'enfance.
De même que l'Arche de Zoé a forgé sa pratique pseudo-humanitaire à partir d'un kouchnérisme dévoyé, de même, elle emprunte sa philosophie à une longue tradition. Tout au long du XIXe siècle, l'Assistance publique a retiré des enfants à un milieu jugé déficient pour les faire renaître ailleurs, dans la pureté des campagnes. Entre 1860 et 1940, l'Assistance publique de la Seine transfère près de 250 000 enfants. Ses agences de placement fixent à la campagne les rebuts de la capitale, loin de leur ville natale et surtout de leur famille. Ainsi la République tente-t-elle d'absorber cet allogène qu'est l'enfant à prob