Comment s'est passée votre première rencontre avec Yves Saint Laurent ?
J'ai d'abord assisté à son premier défilé pour Christian Dior. Trois jours plus tard, nous étions réunis dans un dîner organisé par Marie-Laure Bousquet, correspondante du Harper's Bazaar. A 21 ans, celui qui s'appelait encore Yves-Mathieu Saint Laurent dégageait une grande timidité et en même temps une volonté inexpugnable.
Comment avez-vous scellé votre pacte ?
On est tombé amoureux. C'est simple. En 1960, durant la guerre d'Algérie, il avait été appelé sous les drapeaux. Il n'avait pas très envie de faire l'armée, certes, mais sa dépression l'avait envoyé à l'hôpital du Val-de-Grâce, en section psychiatrique. Je suis allé lui annoncer sur son lit d'hôpital que Dior l'avait renvoyé. Il m'a dit : «Il n'y a rien d'autre à faire que de créer une maison.» Je me suis dit que ça devait être possible même si je n'ai jamais respecté les hommes d'affaires. J'ai trouvé un financier américain, J. Mack Robinson, pour lancer la première collection.
Rétrospectivement, pensez-vous que vous avez eu du mal à lancer la marque ?
Non, car Yves a toujours eu - ou presque - du succès avec ses créations. Une seule fois, il s'est fait étriller (en 1971), avec sa collection inspirée des années 40. Une journaliste américaine avait décrété que c'était »totalement hideux». Je précise que des femmes portent encore cette collection aujourd'hui.
Pour ceux qui ne le connaissaient pas, il donnait l'impression d'un homme en retrait, voire au bord d'un gouffre.
Il a toujours baigné dans la souffrance. Dans son travail, il était d'une gentillesse totale, mais pour 1 mm d'une robe, il pouvait exiger que son équipe travaille toute la nuit. J'ai tendance à penser qu'il n'était heureux que le jour de la présentat