Jean Daniel Editorialiste, écrivain
Quelle est cette «raison d’Etat», cette valeur supérieure qui serait digne qu’on lui sacrifiât les droits de l’homme ? Cela peut être Dieu, au nom duquel il est parfois autorisé de tuer. Cela peut être l’Histoire, qui exige tous les sacrifices. Cela peut être aussi la révolution, qui prétend se justifier parfois d’emprunter les détours de la terreur. On sacralise la fin pour s’autoriser à penser que, pour l’atteindre, tous les moyens sont légitimes. Le problème de la fin et des moyens est au cœur de tous les débats modernes. On ne se résigne plus aux axiomes de Machiavel.
La fin ne saurait justifier les moyens car ce sont ces moyens qui, en retour, peuvent la déshonorer. En cas de victoire, il est vrai que l'on ne se pose plus la question. «On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs» ; ou bien, comme disait Lyautey : «On ne fait pas de colonisation avec des pucelles.» Après le bombardement dévastateur de Coventry par les Allemands, le grand Churchill lui-même a pu réclamer «que l'on rase dans les deux jours une dizaine de villes allemandes» où il savait pourtant qu'il n'y avait que des civils. La raison d'Etat était alors devenue une raison de survivre. Et c'est ce que diront les Israéliens pour justifier leurs bombardements de Gaza.
Mais faut-il abandonner la Tchétchénie à la Russie, le Tibet à la Chine, le Mexique et la Colombie à la drogue et aux enlèvements ? Le problème revient à définir ce qu’est un Etat et pourquoi il