Jean-Pierre Le Goff est sociologue au CNRS, au laboratoire Georges Friedmann de l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. En 2008, il a publié la France morcelée (éditions Gallimard).
Faut-il comprendre le fiasco des Bleus comme un révélateur des tensions ethniques au sein de la société française ?
Non, il ne s’agit en rien d’un problème de couleur de peau. La crise et le psychodrame de l’équipe de France me paraissent symptomatiques d’un bouleversement des conditions de passage à l’âge adulte, affectant l’ensemble de la population française, et que l’on retrouve d’ailleurs dans d’autres sociétés européennes. En trente ans, l’éducation des enfants, dans la famille, à l’école, dans l’ensemble de la société - le service militaire a été supprimé sans mettre rien d’autre à la place - a été bouleversée, et nous voyons maintenant apparaître de nouveaux types d’individus, qui ont un rapport beaucoup plus problématique que par le passé à l’autorité et au collectif, une grande difficulté à s’oublier, à se transcender, à intérioriser l’idée qu’ils incarnent plus qu’eux-mêmes. Nous payons le prix de ce bouleversement et la société comporte aujourd’hui un grand nombre d’adultes «mal finis», de bébés narcissiques fascinés par le modèle de la performance sans faille en même temps qu’instables et fragiles sur le plan affectif.
Aujourd’hui, les joueurs demandent pardon et présentent leurs excuses…
Dans la société actuelle, l’inconscience concernant certains actes («je ne l’ai pas fait exprès») peut s’accompagner ensuite d’un sentiment de culpabilité qui demeure enfermé dans la psychologie individuelle. A partir du moment où l’individu n’intériorise plus vraiment le col