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TRIBUNE

Les Roms, cobayes de la carte d’identité

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par Par Marc Bordigoni Anthropologue au CNRS
publié le 6 septembre 2010 à 0h00

Au fil du XIXe siècle, les services de police de la Préfecture de la Seine (donc de Paris, donc de la France) en viennent à penser que l'Etat doit tout savoir des déplacements des personnes (la gendarmerie, par son enracinement territorial, savait déjà le reste). Favorables à la circulation des marchandises et des hommes, les élus et les ministres de l'époque, issus du monde rural en mutation, du monde du commerce et des villes en croissance, de l'industrie, ne partageaient pas la même conviction. L'idée d'instaurer une carte d'identité est encore considérée par beaucoup comme une violation des libertés individuelles.

A la fin du XIXe et au début du XXe siècle, la France connaît une panique politique «identitaire» (sont-ils Français les Alsaciens, les colons d'Afrique, les gens qui y vivent ?) et «sécuritaire» (des gens menacent la société : les récidivistes, les enfants errants, les femmes de mauvaise vie, les anarchistes). Il faut réduire toutes les formes de délinquance : celles qui viendraient des classes laborieuses et celles des familles errantes. Les Bohémiens concentrent alors toutes les qualités fantasmatiques du danger : transnationales, sans métier - dit-on -, aux mœurs dissolues, voire sauvages (anthropophages). La presse et les services de police conjuguent leurs énergies pour rendre crédible la dangerosité sociale particulière des Bohémiens. Cela se traduit par l'action législative répétée de Georges Clemenceau et le vote, en 191