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Libé des philosophes

La vérité politique, si je mens

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Stratagème ou faute : quelle est la valeur du mensonge en politique ? Pesée des théories de la tromperie depuis l’Antiquité.
par Grégoire Chamayou, Chercheur au Cerphi, CNRS - ENS
publié le 2 décembre 2010 à 0h00

«Vous êtes tous frères dans la Cité, leur dirons-nous (…), mais le Dieu qui vous a formés a fait entrer de l'or dans la composition de ceux d'entre vous qui sont capables de commander.» Nous sommes tous frères par la terre, mais les Dieux, dans leur fabrication, nous ont faits différents : les dirigeants sont faits d'or, le peuple, d'une matière vulgaire. Les uns sont faits pour commander, les autres pour obéir. C'est un mensonge. Et celui qui le profère le reconnaît d'ailleurs volontiers. Platon, dans la République, théorise avec cet exemple la nécessité du mensonge politique, du «noble mensonge» que les gouvernants font et doivent faire aux gouvernés. Un mensonge, donc, sur les fondements de l'inégalité, un mensonge «sociologique» destiné à faire accepter au peuple la monopolisation du pouvoir politique par une petite minorité.

Historiquement, le mensonge politique se présente comme un mensonge asymétrique : le père peut mentir à ses enfants, le mari à son épouse, le maître à ses esclaves, le chef d'Etat à ses sujets, mais pas l'inverse, sous peine de sanction, de punition sévère. Les chefs peuvent mentir, mais eux seuls : «A toute autre personne le mensonge est interdit, et nous affirmerons que le particulier qui ment aux chefs commet une faute de même nature, mais plus grande, que le malade qui ne dit pas la vérité au médecin, que l'élève qui cache au pédotribe ses dispositions physiques, ou que le matelot qui trompe le pilote sur l'état du