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Libération
Interview

«Sarkozy a dérégulé la langue présidentielle»

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par Eric Aeschimann et Pierre ENCREVE, Linguiste directeur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en sciences sociales (EHESS)
publié le 19 avril 2011 à 0h00

Linguiste, ancien conseiller de Michel Rocard, Pierre Encrevé avait noté dans Libération, fin 2007, le recours de Nicolas Sarkozy à la langue du show-biz. C'était quelques mois avant le «casse-toi, pauv'con !»

En quatre ans, comment a évolué le langage présidentiel ?

Il est le seul président de la République française qui ait traité en public un citoyen de «con», le seul qui ait tutoyé un manifestant en lui proposant d'en découdre avec lui, le seul qui ait pu avoir l'idée d'utiliser sa première conférence de presse solennelle à l'Elysée pour annoncer son mariage, sous une forme particulièrement «soignée» : «Avec Carla, c'est du sérieux !» Il voulait «faire président» et il n'a guère donné l'impression de l'être. Il aurait dit en Conseil des ministres : «Je veux du gros rouge qui tache» et ce «gros rouge» a éclaboussé son costume présidentiel de taches indélébiles. Avait-il anticipé que de telles atteintes à l'image présidentielle seraient irréparables ? Dès les premiers mois, abandonnant toute distinction linguistique, il a bradé en quelques mots le capital garanti par la tradition instaurée par De Gaulle, et suivie par tous ses successeurs : une langue de président empruntant systématiquement le registre soutenu, inséparable du costume cravate sombre, d'une tenue, d'un maintien corporel constamment tendus et surveillés. Car la langue est d'abord du corps. Et si l'on reprend les termes de l'analyse des «deux corps du roi» de l'historien Kantorowicz, il paraît évident que Nicolas Sarkozy a