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Libération
30 ans, 30 portraits

Louis Aliot : dans la famille FN, je demande le gendre

Avocat à Perpignan, le numéro 2 du Front national et compagnon de Marine Le Pen pousse à la «dédiabolisation».
Louis Aliot à Paris, en avril 2011. (Fred Kihn/Libération)
publié le 20 avril 2011 à 0h00
(mis à jour le 18 décembre 2024 à 7h35)

1994-2024. Les portraits de der de «Libé» célèbrent leurs 30 ans au fil d’un calendrier de l’avent un peu spécial : 30 ans, 30 portraits. A cette occasion, nous vous proposons chaque jour de décembre, de rédécouvrir un de ces portraits (et ses coulisses), balayant ces trois décennies, année par année. Aujourd’hui, retour en 2011, face au futur maire RN de Perpignan, alors compagnon de Marine Le Pen.

On rencontre autour d’une bière, dans un café nommé «la Fourmi», un Louis Aliot déçu : les électeurs ont joué les cigales avec lui. Ayant obtenu 34 % des voix au premier tour dans le canton de Perpignan-9, le vice-président du Front national croyait à une victoire historique. Mais il s’est pris une baffe au second, le 27 mars, défait par un candidat PS. «Trois bureaux de vote, dont deux dans des cités chaudes, m’ont plombé», analyse-t-il. Il a quand même fait 46 %. «Il nous a manqué des carottes à distribuer», lançait-il le soir de la défaite, amer face à cette «République bananière» d’une France «électoralement corrompue». Le numéro 2 du FN s’est planté aux cantonales, et pas que sur son compte : il avait annoncé 10 à 50 élus pour son parti qui devait progresser «méchamment», il n’y en a eu que deux.

Mais cette défaite a un goût d’espoir car Aliot pressent un «changement sur les idées» : «Ce que disent les Zemmour et autres, on ne l’entendait pas, il y a dix ans. C’est une révolution culturelle. Ça précède toujours les bouleversements électoraux. D’abord dans les têtes, après dans les urnes. Ces idées arriveront aux affaires, C’est un mouvement mondial.» Une pause. «Mais je ne dis pas que ce sera demain.» Ouf.

Louis Aliot, 41 ans, a l’allure lisse du gendre parfait. Pratique : son beau-père, dont il dirigea le cabinet, s’appelle Jean-Marie. Louis Aliot partage la vie de Marine Le Pen, sans être marié ni dire depuis quand. Divorcé avec deux enfants de 10 et 7 ans, le «p’tit gars de la Marine» est un grand costaud, plutôt chaleureux et franc du collier. «Mais sous ses dehors lisses et affables, c’est un théoricien dur de la vieille droite maurassienne et Action française, corrige Marc Carballido, un socialiste qui l’a côtoyé au conseil régional de Midi-Pyrénées, où Louis Aliot a passé douze ans comme président du groupe FN. Il met mal à l’aise par cette capacité à défendre des idées excluantes avec une approche “sympathique” Gérard Trémèges, président du groupe UMP au même conseil, n’a «pas de choses désagréables à dire» sur cet élu «pertinent et respectueux» : «On voyait que les dossiers étaient bien préparés. Il n’était pas dans la provocation comme certains de ses collègues.»

Au FN, Aliot a servi le père, maintenant la fille. Il biberonne aux Le Pen depuis tout petit. Sa mère, pied-noire rapatriée en 1962, a milité dans les comités Tixier-Vignancourt. Son père, plâtrier à Ax-les-Thermes (Ariège), où il a grandi, vote FN. «Pour nous, Le Pen faisait partie de la famille au sens large.» Seul le grand-père votait socialiste, «mais pas d’un socialisme très féroce». Louis Aliot l’Ariégeois est venu au FN par Carpentras. En 1990, l’extrême droite est tenue coupable, par son discours de haine, d’avoir inspiré la profanation du cimetière juif dans cette ville du Vaucluse : «J’ai trouvé ça complètement fou.» Il s’engage. Vingt ans plus tard, Aliot pense toujours qu’il y a eu «une exploitation pour détruire le FN», voire un montage. L’enquête a prouvé le contraire, mais il n’y croit pas. La théorie du complot sévit toujours. Pour lui, «soit on a payé des gens pour le faire, soit ce sont des individus de la bourgeoisie de Carpentras qui se sont amusés et dont on a voulu taire la responsabilité». Ce sont pourtant bien des petits nazillons qui ont officié. Ils trouvaient le FN trop mou.

Louis Aliot, ancien troisième-ligne de rugby, est un catho-laïc qui cite beaucoup De Gaulle. «J’ai toujours pensé que les Français avaient envie d’un mouvement patriotique qui leur parle de la gloire française, qui les fasse rêver de la France.» Le FN, donc. Mais «le message a été brouillé par la diabolisation qui nous a collés un plafond, nous a empêchés de travailler avec des gens, et a compliqué notre vie personnelle et professionnelle». Le FN version Aliot-Marine cherche maintenant cet interstice où il ne serait plus diabolisé. Pour lui, «les gens ne sont pas dupes, ils ne croient plus que le FN est un rassemblement de collabos. Et puis la francisque, c’est Mitterrand qui l’a eue, non ?» D’extrême droite, lui ? Que nenni : «Goasguen, Longuet [membres de l’UMP], y ont appartenu. Moi, jamais !» Ah bon. Le FN raciste, antisémite, xénophobe ? «Faux. Sinon, on serait interdits. Et puis, ce n’est pas Marine Le Pen qui a été condamnée [pour injures raciales], mais Hortefeux.» Il insiste : «On apparaissait comme un parti de fachos, on ne l’a jamais été.» On fronce le sourcil, il concède : «Qu’au milieu, il y ait eu des individualités que nos adversaires mettaient en avant…» Comme beau-papa ? Il évacue : «Le Pen, c’est un mot de lui qu’on a exploité.» Un mot ? Un seul ?

En bon frontiste, le conseiller de Marine Le Pen aime la provoc. En 2009, il a collé un portrait de Jaurès sur ses affiches, en clamant : «Jaurès aurait voté Front national». Il n’est pas à gauche : elle est trop «sectaire». Mais il se voit «beaucoup plus proche de Chevènement que d’une partie de l’UMP», notamment cette «droite molle acquise à l’ultralibéralisme». Le FN a-t-il vocation à la remplacer ? «Si ça continue, oui. L’UMP sous cette forme est appelée à disparaître. C’est mécanique. On va vers une recomposition.» Le FN la souhaite, tout en observant la droite brouter ses plates-bandes : «Si l’UMP a fait tout ce manège avec la laïcité, c’est que la base le demande. Copé sait que ça préoccupe son électorat.» Immigration, sujet pratique : quand le FN en parle, il est leader. «Regardez la prière dans la rue : il y a eu un tumulte pendant un jour», quand Marine Le Pen l’a comparée à l’occupation nazie, puis «tout le monde s’en est emparé».

Louis Aliot, «c’est un type intelligent qui a du flair», assure Jean-Marie Crouzatier, qui fut son directeur de thèse à Toulouse, où Aliot a fait droit et où il était chargé de cours de 1998 à 2005. Le Conseil national des universités l’a refusé comme enseignant. «Pour des raisons politiques», assure Jean-Marie Crouzatier. Alors que, selon cet enseignant qui se dit «ni opposé aux thèses du FN ni proche», Aliot a toujours été «honnête» et fait «le partage entre ses opinions et son enseignement».

Après l’université, Aliot a été secrétaire général et salarié du FN, avant un licenciement transactionnel, dû notamment aux finances défaillantes du parti. Inscrit au barreau de Paris, avec le soutien de Roland Dumas, il s’est installé en 2010 comme avocat à Perpignan, où ses activités privées et politiques lui rapportent, dit-il, 4 000 euros mensuels. Ces jours-ci, il peste contre la «ripoublique mondialiste» et fait chanter son accent du Sud-Ouest sur les radios. «Oui ou non, Marine est-elle meilleure que son père ?» lui demande-t-on aux «GG» (Grandes Gueules) sur RMC. «Joker !» répond-il. Sûr, le «produit Marine marche», les médias en raffolent. Et le parti d’extrême droite «va changer de nature». «Il se remet dans les problèmes de son temps : les préoccupations sociales, économiques, identitaires.» La crise et les angoisses sont son carburant, et il y a de quoi remplir les réservoirs.

Louis Aliot en 7 dates. 4 septembre 1969 Naissance à Toulouse. 1998 Conseiller régional Midi-Pyrénées. 1999 Directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen. 2004 Réélu conseiller régional. 2005 Secrétaire général du FN. 2010 Conseiller régional Languedoc-Roussillon. 2011 Battu aux cantonales. Prépare la campagne de Marine Le Pen pour 2012.

Making-of: les variations multiples de la Der

Faire ou ne pas faire le portrait d’un élu ou militant FN-RN en der? Il y a toujours eu débat à «Libé» entre ceux qui estiment que c’est donner trop de visibilité à des politiques dont on réprouve les idées et ceux qui considèrent qu’il faut parler de tout le monde du mieux qu’on peut et que l’ostracisme et la diabolisation ne sont pas la solution. Michel Henry n’a pas hésité à faire le portrait de Louis Aliot. Et cela ne l’a pas angoissé une seconde. Il faut dire qu’en 2011, il était correspondant de «Libé» à Marseille et en Paca depuis une dizaine d’années. Il avait l’habitude de se frotter à ce genre de sujets et à ce type de personnalités. Il explique: «Avec le FN, c’était assez simple. Ils savaient que "Libé" n’était pas en phase avec leurs idées. Alors soit ils refusaient tout net de me voir, soit ils prenaient le risque, préférant exister quitte à se faire étriller.» Ajoutons d’ailleurs qu’un éreintement pouvait les ravir. Michel Henry ajoute: «Aliot avait adopté la stratégie de parler à tout le monde. Et puis, il est malin. Il sait que sa bonhommie et son accent du Sud-Ouest plaident en sa faveur.» C’est pourquoi, Michel Henry livre un portrait plus politique que d’ordinaire. Il se concentre sur la pensée et la manière d’exercer ses fonctions d’Aliot plus que sur ses souvenirs d’enfance ou ses hobbies routiniers. Interviennent ses adversaires et ses soutiens plus que son cercle personnel rapproché. Preuve s’il en fallait que l’exercice du portrait permet des variations multiples et qu’il est nécessaire de continuer à s’approcher des représentants d’un mouvement même si l’on honnit celui-ci. Histoire de comprendre ce qui se passe et qui sont ceux qui incarnent des évolutions que l’on combat.