Les mots ont un pouvoir singulier, ils fabriquent parfois un destin, installent une fatalité, figent les énergies. Un soir de juin 1979, sans sommation, Valéry Giscard d'Estaing transgresse une vieille tradition et se plaît à évoquer sur le petit écran la France autrement que comme une grande puissance : d'un coup d'un seul, au simple détour d'une phrase, dans la voix de professeur de son Président, la France tombe, elle devient «une puissance moyenne». Voilà notre pays blessé dans son estime, atteint dans son rang, son statut, la représentation qu'il a de lui-même et de son rôle dans l'histoire.
Cette vérité d'évidence n'était pas bonne à dire, selon Jean-Hervé Lorenzi, économiste qui depuis vingt ans ne craint pas de descendre dans l'arène du débat public. Sur fond de crise qui s'installe déjà, l'usage de ce qualificatif «moyen» a eu pour effet de rallumer une fâcheuse tradition française, celle du doute, de la perte de confiance, en un mot du déclinisme, décrite comme une «force obsessionnelle, contagieuse et dévastatrice». Diffusée comme un poison, cette rhétorique négative et paresseuse décuple les peurs, propage le sentiment du déclassement, jusqu'à la hantise de l'effondrement. L'auteur traque ainsi l'origine de ce «pessimisme» français légendaire et retrace d'une plume virulente la petite histoire du déclinisme, une certaine tradition intellectuelle qui s'épanouit au XIXe siècle et compte, avec Chateaubriand, d'illustres