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TRIBUNE

L’indignation, une passion morale à double sens

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Le débat n’est pas clos 2/10 . Chaque jour, retour sur un événement de l’année
par Michaël Fœssel, Maître de conférences à l’université de Bourgogne. Dernier ouvrage paru : Etat de vigilance, critique de la banalité sécuritaire, éditions le Bord de l’eau, 2010
publié le 2 août 2011 à 0h00

Le titre du best-seller de l'année 2010 (Indignez vous ! de Stéphane Hessel) est paradoxal. On s'est étonné qu'un homme parvenu à un tel âge prodigue des leçons de révolte ; en réalité, le mystère est d'abord grammatical : peut-on conjuguer la colère à l'impératif ? Parler de l'indignation comme d'un devoir, c'est oublier qu'il s'agit d'une passion et que l'on ne commande pas aux sentiments comme aux pensées. Exiger d'une personne qu'elle s'indigne apparaît aussi peu censé que de l'obliger à aimer ce qu'elle avait tenu jusqu'ici pour insignifiant.

Pourtant, d’Athènes à Madrid, c’est sous la bannière de l’«indignation» que les manifestants se sont regroupés. Que les Indignés aient investi des places publiques démontre qu’il existe entre la politique et certains sentiments un rapport privilégié. L’indignation ne se commande pas, mais une révolution ne se décrète pas non plus, elle advient à la manière d’un événement imprévisible. Les Indignés ont montré que cet événement révolutionnaire, même lorsqu’il ne se déploie pas jusqu’à son terme, a d’abord lieu dans les consciences.

Pour que l’inédit devienne possible, il faut que le monde tel qu’il va apparaisse intolérable. Or, l’indignation est une passion morale : elle saisit sur un mode affectif la différence entre ce qui est et ce qui devrait être. C’est là sa supériorité sur la raison dont la tendance consiste à tout expliquer : les plans d’austérité par le poids de la dette, les licenciements par les exigences de compét