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Libération
Éditorial

Rêves d’utopie

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publié le 25 février 2012 à 0h00

«A la longue, la vie sans utopie devient irresponsable, pour la multitude du moins : sous peine de se pétrifier, il faut au monde un délire neuf.» Une lueur d'espoir inattendue chez Emil Cioran, penseur aux idées noires, réputé pour ses aphorismes «dépressifs». Et l'on serait tenté de dire que si même Cioran fait ce constat, nul progrès n'est possible sans utopie. Car, contrairement au sens qu'elle a pris aujourd'hui, l'utopie ne signifie pas chimère. Pour l'inventeur de ce mot au XVIe siècle, le philosophe anglais Thomas More, utopie désignait certes une société imaginaire idéale, mais pas inaccessible. Alors pourquoi donc les politiques qui nous gouvernent, et ceux qui espèrent leur succéder, répugnent-ils à emprunter à cette idéologie des idées qui enthousiasmeraient les électeurs ? Au lieu de quoi ils préfèrent rester épouvantablement ennuyeux, pour prouver combien ils sont sérieux, tant ils craignent de passer pour des farfelus s'ils osaient suivre des voies plus aventureuses. C'est pourtant très exactement le message envoyé par les Indignés de la planète qui ne supportent plus, non pas la politique, mais la manière de l'exercer. Et même si l'on n'ignore pas que l'«idéologie» utopiste a pu conduire aux pires dictatures, l'URSS, la Chine et quelques autres, elle manque furieusement aux débats du moment. «Aucune carte au monde n'est digne d'un regard si le pays de l'utopie n'y figure pas», disait aussi Oscar Wilde. Et il n'était pas seulement