Philosophe et ex-ministre de l’Education nationale du gouvernement Raffarin, Luc Ferry prend ses distances avec l’orientation de la campagne de Nicolas Sarkozy.
Que pensez-vous de la stratégie de droitisation choisie par Nicolas Sarkozy ?
C'est à mes yeux une erreur de fond. Les passions qui animent les électeurs du Front national ne sont nullement «l'angoisse» et «la souffrance», comme l'a dit le Président, mais l'indignation et la colère contre les élites, associées à une quête profonde de fraternité. Les «Le Pen» sont tout sauf peureux. Dire que la peur les anime est perçu comme une insulte. Et, surtout, c'est passer à côté de leurs véritables motivations.
Pourquoi considérez-vous que la campagne de Nicolas Sarkozy se fonde sur un contresens ?
Les deux grands foyers de sens qui ont depuis 1789 animé toute la vie politique sont la nation, à droite, et la révolution, à gauche. Sous l'effet d'un puissant mouvement de déconstruction des valeurs traditionnelles durant le XXe siècle, ces deux perspectives se sont épuisées. Je prétends que toutes les grandes questions politiques des années qui viennent vont se regrouper autour d'une problématique nouvelle, celle de la jeunesse et des générations futures. En prenant comme boussole le FN, en affirmant que nous avons besoin de frontières et de nation, Sarkozy passe complètement à côté de cette aspiration cruciale.
Marine Le Pen est-elle «compatible avec la République» ?
Le FN est un parti légal et autorisé, Nicolas Sarkozy a raison sur ce point. Mais la conception de la nation que véhicule Marine Le Pen n’est pas républicaine. La déclaration de 1789 qui en est le cœur signifie que tout être humain a des droits, quelles que soient sa langue,